El bien común universal en la obra de Maximo el Confesor

TitreEl bien común universal en la obra de Maximo el Confesor
Type de publicationChapitre d'ouvrage
Année de publication2023
LangueEspagnol
Titre de l'ouvrageLa síntesis teológica de la noción de bien común en patrística
Pagination61-94
Auteur(s)Mueller-Jourdan, P.
Directeur(s)Nebel, M., Sedmak C. et Mueller-Jourdan P.
DirecteurNoriega, M. López
EditeurHerder Editorial
VilleBarcelone, Espagne
Résumé

Introducción

El propósito que seguimos tiene como intención elucidar, al menos parcialmente, el significado del bien común en la obra de Máximo el Confesor, centrando esta investigación en una de sus obras más originales y también la más elaborada: la Mistagogia. Se trata de elucidar dicho significado ya que, en estricto sentido, Máximo no se ocupó directamente de esta cuestión, al menos no en el sentido en que nosotros podemos entenderla hoy en día. Sin duda, sería anacrónico pretender convertirlo en precursor de la doctrina social de la Iglesia, incluso si resulta incontestable que ciertas teorías que abordaremos en estas líneas parecen ser su lejana raíz.

            Para Máximo, el bien siempre está correlacionado con el bien de una naturaleza, ya que esta última se inscribe en el plan que el Creador preconcibió desde el principio, antes de ser producida. Por este motivo, el bien es el fin bienaventurado, la culminación y perfección de una naturaleza que realiza su plena potencia, es decir, su propia virtud. Y el bien común es cuando, en una síntesis armoniosa, toda la realidad atiende a su meta y a su fin, desplegando todos los recursos y potencias naturales que el Creador ha depositado en ella. El mal, en cambio, es cuando la criatura se ve privada de los recursos de su propia naturaleza.

            Esta concepción es un lugar común en las tradiciones filosóficas y teológicas que Máximo hereda.

            No obstante, la experiencia humana compartida tanto por el platonismo como por la tradición bíblica atestigua que el bien no se realiza, que el hombre aparece desprovisto de los dinamismos profundamente orientados por su propia naturaleza; en pocas palabras, que la corrupción y la muerte dominan lo que, sin embargo, originalmente no estaba destinado ni a la corrupción ni a la muerte. Se trata de una paradoja que la tradición platónica explicará por el olvido y la ignorancia, por los que el alma está ahora afligida y que la tradición bíblica explicará por el misterioso relato de la desobediencia original, que provocó el exilio del hombre del entorno protector de la gracia, que fue suyo en el principio. El alma, o el hombre, no conoce ya su propia naturaleza, sus potencias ni sus dinamismos fundamentales y el ignorante ignora su propio bien, ignora su propio fin, ignora su destino. Se puede añadir que, en la tradición bíblica, no es suficiente con que el hombre conozca de nuevo su naturaleza para que toda cosa se reinscriba en su orden de nuevo. Según las palabras de Máximo, su naturaleza debe serle restituida.

            Esta problemática es vasta. Intentaremos presentarla acotando el campo mediante una lectura de la Mistagogia de Máximo el Confesor.

Texte complet

Version originale en français

« La fin bienheureuse par laquelle toutes choses ont été constituées [Τοῦτό ἐστι τὸ μακάριον, δι' ὃ τὰ πάντα συνέστησαν, τέλος]»[1] opérante et opérée dans la synaxe liturgique.

Une lecture de la Mystagogie de Maxime le Confesseur.

Pascal Mueller-Jourdan, Université catholique de l’Ouest, Angers

 

Introduction

Les propos qui suivent ont pour intention d’élucider au moins partiellement le sens du bien commun dans l’œuvre de Maxime le Confesseur en focalisant cette recherche sur l’une de ses œuvres les plus originales mais aussi la plus construite : La Mystagogie. Il s’agit bien de l’élucider car, au sens strict, Maxime n’a pas traité directement de cette question, du moins pas dans le sens où nous pouvons l’entendre aujourd’hui. Sans doute serait-il anachronique de vouloir en faire un précurseur de la doctrine sociale de l’Église même s’il est incontestable que certaines des théories que nous aborderons dans ces lignes semblent en être comme la lointaine racine.

Le bien pour Maxime est toujours corrélé au bien d’une nature dès lors que cette dernière s’inscrit dans le plan que le Créateur préconçut dès l’origine avant qu’elle ne fût produite. A ce titre le bien est la fin bienheureuse, l’achèvement et la perfection d’une nature qui réalise sa pleine puissance, c’est-à-dire sa vertu propre. Et le bien commun, c’est lorsque, dans une harmonieuse synthèse, toute réalité attend son but et sa fin en déployant toutes les ressources et puissances naturelles que le Créateur y déposa. Le mal en revanche, c’est lorsque la créature se trouve privée des ressources de sa propre nature.

Cette conception est un lieu commun des traditions philosophiques et théologiques dont hérite Maxime.

Or l’expérience humaine partagée tant par le platonisme que par la tradition biblique atteste que le bien ne se réalise pas, que l’homme paraît comme privé des dynamismes profondément orientés de sa propre nature, en bref que corruption et mort dominent ce qui n’était pourtant à l’origine, ni destiné à la corruption, ni destiné à la mort. C’est là un paradoxe que la tradition platonicienne expliquera par l’oubli et par l’ignorance dont l’âme est aujourd’hui frappée, et que la tradition biblique expliquera par le mystérieux récit de la désobéissance originelle qui entraîna l’exil de l’homme de l’environnement de grâce protecteur qui fut à l’origine le sien. L’âme, ou l’homme, n’a plus connaissance de sa propre nature, de ses puissances et de ses dynamismes fondamentaux et l’ignorant ignore son propre bien, ignore sa propre fin, ignore sa destinée. On peut ajouter que dans la tradition biblique, il ne suffit pas que l’homme connaisse à nouveau sa nature pour qu’à nouveau tout chose se réinscrive dans son ordre. Sa nature doit, selon le mot de Maxime, lui être restituée.

Cette problématique est vaste. Nous allons tenter de la présenter en resserrant le champ dans une lecture de la Mystagogie de Maxime le Confesseur.

Nous commencerons par dresser le tableau d’un horizon historique et intellectuel général du siècle de Maxime. Nous poursuivrons en insistant sur le fait que la pensée de Maxime est foncièrement kérygmatique en ce sens que la destinée du premier Adam dut être totalement reprise par le nouvel Adam, le Verbe qui, dans son incarnation, restitua à l’homme sa propre nature, ses dynamismes internes et son orientation vers ce qui devait constituer son bien : devenir dieu dans la mesure du possible pour l’homme par imitation et participation à la grâce du Royaume dans lequel le Fils de Dieu venu dans sa chair devait le réinsérer. Tout ceci s’opère ainsi que nous le verrons dans la synaxe liturgique tel que la décrit avec moult détails Maxime le Confesseur dans le Mystagogie. Nous décrirons ensuite ce qui se produit pour l’âme qui entre dans l’Église et les conséquences, en termes de charité appliquée, de la transfiguration opérée dans chacun des rites de la diataxis liturgique et tout particulièrement dans la communion aux saints et divins mystères.

 

1. Contexte général

Traiter de la question du bien commun dans la pensée de Maxime le Confesseur suppose de situer le sens général du bien dans le siècle qui fut le sien. En effet l’horizon de pensée dans lequel il s’inscrit est profondément tributaire des écoles philosophiques qui prédominèrent intellectuellement l’Antiquité tardive, celles d’Athènes et d’Alexandrie qui s’illustrèrent par les exceptionnels commentaires d’Aristote et de Platon qu’elles nous léguèrent. On oublie parfois que ces écoles bien fréquentées par l’élite chrétienne contribuèrent à la maturation d’une théologie patristique très construite.

Grégoire de Nazianze, Evagre le Pontique et le Pseudo-Denys l’Aréopagite, ces très grands Pères de l’Antiquité chrétienne étaient, par les contacts qu’ils entretinrent avec ces milieux, portés par une culture philosophique absolument sans précédent dans l’histoire de la pensée. Ce courant platonicien, postérieur à Plotin, s’imposera comme un modèle qui conditionnera la théologie byzantine, la philosophie arabe puis tout le Moyen-âge latin,

–par les traductions des Libri platonicorum qui influencèrent notablement Saint Augustin,

–par les traductions de Boèce,

–par les traductions du Pseudo-Denys ainsi que celles d’un nombre non négligeable de commentateurs platoniciens d’Aristote et de Platon par Guillaume de Moerbeke au XIIIe siècle.

Si nous indiquons ici le platonisme de l’Antiquité tardive, c’est qu’il a constitué la koinè philosophique des Pères de l’Église. Il leur a fourni également un certain nombre de concepts et de schémas mentaux ouvrant à un universalisme et à une systématicité sans laquelle l’histoire d’Israël et la tradition biblique auraient été limitées à n’être qu’une tradition religieuse régionale du Proche-Orient ancien.

Or c’est précisément dans cette koinè philosophique que le Bien est le nom propre qu’on confère alors à la toute première cause du réel. Et si la cause toute première est appelée Bien, c’est parce que tout ce qui en est issu, atteint son propre bien lorsqu’il est tourné vers elle. A ce titre les platoniciens de l’Antiquité tardive appelleront Bien celui qui n’est pourtant ni connaissable, ni nommable, et ils s’autoriseront à le nommer ainsi à partir du bien qui se réalise en toutes choses lorsque celles-ci se tournent vers Celui-là comme vers sa source. La Cause toute première apparaît ainsi, dans la koinè philosophique de l’Antiquité tardive, comme la cause finale de tout être quel qu’il fût. Elle seule à ce titre peut porter de façon tout-à-fait propre le titre de Bien commun.

Nous pourrions ajouter que les écoles de l’Antiquité tardive qui portèrent et promurent cette koinè philosophique avaient un souci pédagogique et une visée très précise. Il s’agissait de préparer intellectuellement et on pourrait dire spirituellement des jeunes gens à prendre une part active dans la vie publique et aux responsabilités afférentes à la vie dans la Cité et dans l’Empire. Ils reproduisaient en cela l’esprit de l’Académie de Platon qui voulait que les esprits les plus doués et les mieux préparés puissent assumer le rôle de la gouvernance et conduire les cités dans un idéal de justice. On se souvient sans doute que Platon créa sa propre école alors qu’il était affecté d’un profond pessimisme politique s’expliquant par la condamnation injuste du juste, par la mort de Socrate. A sa façon, Platon s’élevait contre l’injustice qui est pour lui le sommet du vice qui découle de l’ignorance qu’ont les âmes de leur propre nature, de leur propre mission et de leur propre destinée.

Platon et toute la tradition platonicienne lui succédant exprimaient un besoin de salut pour les âmes et les hommes qui fautes d’avoir accès à leur propre nature tenue pour bonne s’enfonçaient dans un monde de vices sans limites. Ce ne peut être que par une énergique conversion à leur propre nature et par un exercice spirituel soutenu que les hommes sont à nouveau en mesure d’accéder à la Justice qui est le bien de la Cité, le bien commun à la Cité et aux citoyens qui la constituent. L’histoire nous a cependant montré que jamais les hommes ne parvinrent à atteindre cet idéal de justice qui comporte indéniablement une part d’utopie. Dans tous les cas, pour les Pères grecs en général et pour Maxime le Confesseur en particulier, seule la mort du vieil homme dominé par la convoitise et l’avènement de l’homme nouveau qui se renouvelle sans cesse à l’image de son Créateur, permet de donner à voir -toujours provisoirement- l’icône d’une société présidée par la justice certes, mais présidé d’abord par la charité. D’ailleurs, c’est la charité, la charité transcendant la vertu de justice qui exprime le plus adéquatement ce qu’on appelle Bien commun dont il est parfois si difficile de saisir les contours.

Pour bien saisir la distinction faite ici entre justice et charité, convoquer les Chapitres des disciples d’Evagre dans lesquels Maxime le Confesseur a largement puisé pour ses propres Centuries sur la Charité,[2] s’avère particulièrement éclairant. Les disciples <anonymes> d’Evagre affirment en effet dans le chapitre 7 :

« Les païens ont préféré la justice comme compréhensive de toutes les vertus, car elle distribue à chacun ce qui lui revient, en apprenant ce qui convient le mieux ; elle fait disparaître les péchés en acte ; c’est elle aussi que la loi prescrit. Mais selon l’enseignement du Christ, c’est la charité qui est compréhensive de toutes les vertus, et en effet elle purifie l’homme intérieur, en retranchant les péchés de pensée ».[3]

 

Sans doute celui qui a retranché jusqu’au péché de pensée est-il disposé d’une manière particulière à la charité appliquée telle que la décrira Maxime dans son œuvre et sans doute, celui dont toutes les actions sont informées par la charité englobera-t-il toutes les œuvres de justice.

Ce détour par la koinè philosophique est nécessaire si on ne veut pas manquer de donner un horizon général, un horizon culturel et philosophique, aux grandes synthèses de Maxime le Confesseur.

Ce cadre étant posé, nous pouvons porter notre attention sur la vision singulière du Mystère de notre salut tel qu’il se donne à voir dans la Mystagogie de Maxime le Confesseur.

 

2. La pensée de Maxime le Confesseur : premiers éléments

La pensée de Saint Maxime, avant même d’être l’expression d’une théologie ample, foisonnante et architectonique, est une pensée premièrement et foncièrement kérygmatique ayant pour thème fondamental le mystère de notre salut. A ce titre, pour Maxime, il est évident que les conditions présentes d’existence, celles que nous partageons avec la communauté humaine et le cosmos tout entier, ne sauraient être comprise qu’à la lumière du salut. Notre condition est une condition déchue. Notre nature est dénaturée par la corruption et par la mort qui la dominent. La création gémit dans les douleurs et l’homme frappé par l’errance n’a plus accès au sens des choses, n’a plus accès au sens même de sa place et de sa fonction dans l’ordre des choses. Il n’est plus en mesure de comprendre la fin pour laquelle il fut créé, la fin pour laquelle toute chose fut à l’origine créée. Ce n’est que dans le Mystère du Christ en ce qu’il est aussi la figure restaurée de l’Adam originel que sa véritable nature, son sens, sa mission et vocation, en un mot sa fin, lui sont à nouveau restitués.[4] Et c’est dans l’Église que se réalisent d’une part, le rétablissement de la nature enfin rendue à elle-même et que se réalise, d’autre part, l’accomplissement et la destinée de tout homme, à savoir l’union de tous et de chacun avec Dieu et la communion de ceux qui partagent cette union. Il n’est pas de nature authentiquement elle-même si elle n’a pas été guérie et rétablie dans son intégrité et dynamisme originel. Il n’y a pas de guérison et de rétablissement en dehors du Mystère du Christ, et donc pas de salut en dehors de l’Église qui est son corps, seul lieu où se réalise le Mystère du Christ en qui notre nature est réhabilitée et promise à la vie divine.

Pour Maxime, c’est dans l’Église et dans la divine liturgie que l’humanité peut atteindre dès à présent, dans la sainte synaxe, ce qui constituera son bien le plus commun, son accomplissement définitif, lorsque Dieu sera tout en tous. C’est toute cette économie du salut qu’expose la Mystagogie dont le titre complet rapporté par la tradition manuscrite est : « De la Mystagogie ecclésiastique. De quoi sont symboles les actes accomplis dans la sainte Église lors de la divine synaxe ».[5]

 

3. Brève présentation de la Mystagogie

La Mystagogie est un document à part dans la riche production de Maxime le Confesseur. Loin des polémiques qu’entraîna la difficile réception en Orient des formules christologiques du Concile de Chalcédoine,[6] loin du traitement des apories des Saintes Écritures, ou des écrits de Grégoire de Nazianze et de Denys l’Aréopagite, la Mystagogie ecclésiastique, se veut surtout l’expression rédigée d’un discours que le saint moine prononça devant un certain Théochariste sur lequel les études se perdent en conjecture. Maxime dit lui-même s’inspirer et même rapporter les propos d’un autre grand vieillard, un vrai sage dans les choses divines (Myst Prooïmion 9–12). L’œuvre apparaît dès lors comme une initiation aux mystères de notre salut où, en un sens, Maxime fait fonction de mystagogue auprès de Théochariste après avoir bénéficié lui-même du discours initiatique d’un autre mystagogue, un bienheureux vieillard mentionné à plusieurs reprises au fil du texte.[7] En cela, ce propos n’est pas destiné à un large public. Il suppose de l’auditeur une conversion totale. Celui-ci doit être passé, en vertu de la première parousie du Verbe, « de l'incroyance à la foi, du vice à la vertu et de l'ignorance à la gnose ».[8]

D’un point de vue factuel et textuel, la Mystagogie comporte deux volets.[9]

Le premier volet comprend deux parties. La première partie porte sur l’Église comme puissance de salut, en tant que son action providentielle et unificatrice est le type de l’action archétypale providentielle et unificatrice de Dieu. C’est le chapitre 1.

La deuxième partie du premier volet prolonge les considérations de Maxime sur l’Église par un examen de sa disposition architecturale et du sens symbolique d’une telle disposition.

Ces théoriai sur le lieu où se déroulent les rites de la synaxe décrivent des rapports spatiaux qui veulent surtout donner à voir un ordre et une disposition divine concernant toute réalité créée.  C’est à la lumière de cet ordre révélé dans l’agencement architectural sacré de l’“église-faite-de-main-d’homme” (cheiropoiètos), que dorénavant toute réalité, sensible, intelligible, céleste, terrestre, anthropologique et psychique doit être à nouveau perçue par une perception, ou activité sensitive, réunifiée et restaurée dans toute sa puissance.

Le deuxième volet de la Mystagogie ecclésiastique porte sur ce qui se déroule dans l’espace ecclésiale exhaustivement commenté dans le premier volet. Ce qui s’y déroule, ce sont une succession ordonnée de rites que Maxime appelle « ordonnancement sacré de la sainte Église » (hiéra diataxis, Myst 13.668) ou « saint ordonnancement » (hagia diataxis, Myst 24.1076–1078). Mais outre le fait de décrire par le détail des déplacements, des mouvements, des gestes accomplis et des paroles prononcées, Maxime en précise la valeur symbolique qui épouse le mystère du salut par l’accomplissement du plan divin. Il y indique également l’effet attendu dans la communauté humaine qui y participe et qui retrouve ainsi dans le rite réalisé la voie de sa propre réalisation dont le dynamisme et le mouvement vers la communion avaient été brisés par la rupture d’alliance originelle.

Toute la disposition spatiale de l’Église, les actions (mouvements, paroles, gestes) qui s’y déroulent ont un caractère iconique. L’icône par son caractère diaphane donne à voir à même la matière et la corporéité une réalité qui transcende la matière et la corporéité.[10] Maxime l’atteste d’ailleurs lorsqu’il dit que les choses non manifestes sont contemplées au travers des choses manifestes (kathoratai dia tôn phainomenôn ta mè phainomèna).[11] Dès lors la typologie spatiale et architecturale de l’Église est image, “faite-de-mains-d’homme”, d’un modèle archétype, “non-fait-de-mains-d’hommes” (acheiropoiètos)[12] qui préside à la structure et à l’organisation de toute la création. Il en va de même pour le caractère iconique des rites sacrés qui rejouent, synaxe après synaxe, dans la diachronie de ce monde, la première venue du Verbe, puis sa seconde venue, enfin la réalisation eschatologique du plan divin.

Cette vision mystérique du réel parfaitement naturelle pour un auteur de l’Antiquité n’est pas sans soulever certaines interrogations quant à sa réalisation, son efficacité et son sens dans la vie quotidienne des chrétiens, quelle fut celle des moines d’Orient, ou celle des fidèles des centres urbains que Maxime connut à Constantinople et à Alexandrie. La Mystagogie fait d’ailleurs mentions à plusieurs reprises de trois catégories de sauvés : les fidèles, les vertueux et les gnostiques, assimilés aux commençants et aux serfs pour les premiers, aux progressants et aux mercenaires pour les seconds, et aux parfaits et aux fils pour les troisièmes.[13] Tous pourtant, bien qu’à des degrés divers, sont du Christ et membres de son corps. La Mystagogie toutefois dévoile, qu’en fonction de leur degré d’avancement, de leur disposition et de la convenance qui en résulte, ces catégories de chrétiens ne bénéficient pas exactement des mêmes effets.

En résumé, nous avons un texte en deux volets. Le premier décrit un lieu, un espace, la disposition architecturale d’un bâtiment (temple ou nef, sanctuaire, autel) et son sens symbolique. Le deuxième volet décrit une action liturgique, une suite ordonnée de rites, leur sens symbolique et l’efficacité attendue pour ceux qui, étant entrés dans l’église, participent aux rites qui s’y déroulent.

 

4. Place de la Mystagogie ecclésiastique dans le plan divin : l’horizon d’une métahistoire

Pour Maxime le Confesseur, qui sera suivi par les courants théologiques dominant dans l’Empire byzantin, toute réalité créée doit être regardée à partir du Créateur qui en conçut la réalisation. Dans la Mystagogie par exemple, Maxime n’hésite pas à qualifier ce changement de regard par l’expression voir par une perception toute divine avec les yeux de l’intellect.[14] Il dira dès le prologue de la Mystagogie que le saint vieillard dont il reçoit cette révélation, lui-même, l’intellect naturellement illuminé par les rayons divins, pouvait voir immédiatement ce que les gens ordinaires ne voient pas.[15] Pour comprendre le sens et la place générale que tiennent les rites de la saint synaxe dans l’économie générale du salut telle qu’il est conçu dans la Mystagogie ecclésiastique, il est nécessaire de convoquer un autre texte de Maxime le Confesseur. Il s’agit du vingt-deuxième chapitre des Questions à Thalassios. Maxime tente alors de fournir une explication à l’énigmatique formule de l’Apôtre Paul qui affirme que « nous touchons à la fin des temps » (I Cor 10.11). Maxime demande alors « comment touchons-nous à la fin des temps ? ». C’est dans le but d’y répondre qu’il dresse devant son lecteur une fresque métahistorique déroulant le dessein divin qui préside à la destinée du monde créé, de l’origine à la fin des temps précisément. Maxime dévoile ainsi l’économie divine générale prédéterminée d’avance dans le Grand Conseil trinitaire[16] et dans laquelle pour lui vient s’inscrire le mystère de l’Incarnation.

Pour le moine byzantin, Dieu a divisé les siècles en deux grandes périodes. Une première partie des siècles appartient au temps de la descente de Dieu vers l’homme, l’autre au temps de l’élévation de l’homme vers Dieu. La première période est vouée à réaliser l’incorporation de Dieu dans l’humanité, la seconde vise à produire la déification de l’homme.

Et voici en quels termes Maxime explicite dans un langage assez riche ce mouvement :

« Celui qui a fixé la naissance de toute créature, visible et invisible, par la seule inclinaison de sa volonté, avant tous les siècles et avant la naissance même des réalités avait à leur égard un plan éminemment et indiciblement bon. Celui-ci consistait en ce qu’il se mêlât sans changement à la nature humaine par la véritable union hypostatique, et en ce que d’autre part il s’unisse à lui-même la nature humaine, sans changement, afin que lui-même devînt homme, comme lui-même le savait, et qu’il fît de l’homme un dieu en se l’unissant à lui-même, après avoir, bien évidemment avec sagesse, défini les temps et les avoir délimités, les uns pour l’acte de son devenir-homme, les autres pour l’acte de faire de l’homme un dieu ».[17]

 

Ce propos soulève une question cruciale pour la théologie, car l’inhominisation de Dieu apparaît sous l’angle d’un admirable échange préconçu “ hors du temps ” ou avant que la catégorie “ temps ” ne vienne déterminer et mesurer tous les mouvements de l’Univers créé.[18] Cet échange des propriétés où Dieu devient homme et l’homme dieu sans que ne soit en rien affectée la raison de leurs natures irréductibles veut voir dans l’Incarnation du Dieu Verbe, la réalisation du mystère du Christ préconçu avant tous les siècles, conçu “ hors du temps ” mais réalisé avec et dans le temps. À la question “ pourquoi Dieu s’est fait homme ? ”, Maxime répond ici : pour réaliser le plan préconçu d’avance dans le Grand Conseil trinitaire.[19]

Or l’état présent atteste que ce plan dut s’ajuster à l’événement de la rupture d’alliance originelle. Ce qui aurait dû faire l’objet d’un admirable échange pris la forme tragique de l’exil et de l’errance comme en atteste d’un point de vue typologique l’histoire d’Israël, l’avènement dans le dénuement du Verbe de Dieu, sa mission terrestre entravée jusqu’au rejet par les hommes dans sa Crucifixion où il prend la figure de « l’Agneau, sans tache et sans défaut, préconnu dès avant la fondation du monde et manifesté dans les derniers temps à cause de nous ».[20] Le plan divin originel se maintint toutefois en se colorant de la forme du drame qui connaîtra, au travers d’alliances sans cesse réitérées à la suite d’autant de ruptures d’alliance, une fin heureuse lorsque Dieu aura récapitulé en Christ tout ce qui fut, dès avant la fondation du monde, prévu dans le Grand Conseil trinitaire.

Convoquer cette métahistoire est ici cruciale pour comprendre le sens de toutes les mouvements et gestes qui se déroulent dans la divine synaxe.

 

5. Diataxis liturgique ou rite de la sainte synaxe : de l’Incarnation du Verbe à la déification de l’homme.

Pour Maxime, tous les rites qui se déroulent lors de la divine liturgie et qui ont pour principe l’entrée visible de l’Évêque dans la sainte Église couvrent symboliquement toute la seconde période du plan divin ainsi que nous allons l’exposer ici.[21]

L’Incarnation du Verbe, que Maxime appelle également, première parousie ou premier avènement, est symbolisée par l’entrée de l’Évêque dans l’Église.[22] Elle marque le tournant entre les deux périodes mentionnées. Mais elle a surtout pour caractère efficient de libérer la nature humaine asservie à la corruption (Myst 8.607–608) et de réintroduire l’homme dans la grâce du Royaume qu’il possédait à l’origine (Myst 8.612–613).

L’entrée du peuple dans l’Église à la suite de l’évêque marque l’entrée de l’histoire humaine dans les derniers temps, autrement dit dans la deuxième période caractérisée par le processus de déification de l’homme ainsi que le voulût Dieu à l’origine. On se souvient que la première période devait voir Dieu devenir homme et que la deuxième devait voir l’homme devenir dieu.

Restauré dans la grâce du Royaume, l’homme, image de Dieu, pouvait à nouveau se réinscrire dans le processus de ressemblance, qui est un processus de divinisation. Ce processus fut suspendu par l’exil qui frappa Adam alors qu’il aspirait à devenir dieu avant que les temps ne soient accomplis, autrement dit avant que la première période, celle de l’inhominisation de Dieu, ne fut réalisée.

Le mouvement de l’évêque se prolonge, une fois la nef traversée par l’entrée dans le sanctuaire jusqu’à ce que l’évêque monte sur le trône épiscopal signifiant symboliquement l’ascension au ciel du Christ et son rétablissement sur le trône supra-céleste.[23]

La lecture de l’Évangile signifie symboliquement le terme de l’annonce universelle du salut et la consommation de tous les temps.[24] Elle est aussitôt suivie de la descente de l’Évêque de son trône qui symbolise la seconde parousie ou nouvel avènement du Christ. C’est ce moment que l’apôtre désigne par la formule « nous touchons à la fin des temps ».

C’est alors, une fois achevé l’annonce universelle du salut symbolisé par la lecture de l’Évangile, une fois les catéchumènes renvoyés symbolisant le jugement dernier,

une fois les portes de l’Église fermées qui marquent la fin de tous les temps, que s’effectuent l'entrée des saints et vénérables mystères, qui signifie « le commencement et le prélude du nouvel enseignement qui se fera dans les cieux concernant l'économie de Dieu à notre égard, et la révélation du mystère de notre salut qui est dans l'impénétrable secret divin ».[25]

Et le rite se poursuivra étape par étape, comme dans une parfaite initiation et dans une progression et élévation qui aboutira à la participation aux saints et vivifiants mystères où Dieu tout entier remplira entièrement ceux qui y participent en ne laissant vide de sa présence aucune partie d’eux-mêmes.[26]

Ainsi sera atteinte, manifestée et donnée au cœur de ce siècle la déification de l’homme ainsi que Dieu le voulut éternellement dans le Grand Conseil. Mais il y a pour Maxime des conséquences humaines radicales qui découlent de la fin atteinte dans la communion eucharistique. En effet, celui qui est entièrement rempli de la présence de Dieu tout entier participe dorénavant de la bienveillance et de la providence de Dieu à l’égard de toute création. Mais avant d’explorer plus avant combien le bien le plus commun comme la fin liturgiquement atteinte rayonne dans une disposition de charité particulièrement manifeste, il convient de revenir au rythme assez mystérieux de la Mystagogie dans laquelle, après une première explication des symboles qui concernent tous les fidèles en général, Maxime revient une fois encore à l’explication des rites et en particulier à ce qui se produit pour l’âme de ceux qui pratiquent la vertu, et qu’il appelait précédemment les progressants.[27] Ce détour permettra notamment de comprendre plusieurs transformations qui donneront à ces fidèles-là d’appréhender toute réalité créée comme Dieu les voit, dans leur bonté originelle et leur fin. Mais pour comprendre la transition qui nous fait passer des conditions présentes à notre vocation eschatologique, il convient de bien poser les deux états.

 

6. Des conditions présentes à la restitution de notre nature

Si l’on parcourt les champs lexicaux décrivant l’état de notre nature avant que celle-ci ne soit rétablie en son mode naturel de fonctionnement, force est de constater que Maxime ne fait que recueillir l’héritage paulinien en y introduisant quelques éléments provenant soit du platonisme, soit du stoïcisme, mais dans la forme que leur donna notamment la tradition monastique savante, par exemple celle qui provient d’Evagre le Pontique et des disciples qu’il laissa au désert des Kellia ou Cellules.[28] Inutile de chercher chez Maxime quelque originalité byzantine absolue. Le constat de notre état présent est d’ailleurs sans appel, de Saint Paul[29] à la tradition monastique. Les maux humains se déclinent en de nombreux termes : incroyance, vice,[30] ignorance, égarement, agitation, guerre continue, destruction réciproque, lutte, révolte, dissension et haine. Rien de bien nouveau.

Par contre, là où Maxime paraît se distinguer de la tradition qui le précède, c’est par les solutions apportées, notamment par la place qu’il confère à la synaxe et à la diataxis liturgiques qui se déroulent dans la sainte Église, dans un lieu qui, en raison des symboles qu’il comporte, est supposé transformer l’âme et toutes les activités de l’âme de celui qui y pénètre.

Voyons comment la Mystagogie ecclésiastique résume en quelques phrases l’état précédant l’entrée dans l’Église et ce que symboliquement représente l’entrée dans l’Église pour les fidèles vertueux qui travaillent encore à leur propre progès.

« [784] Considère donc avec les yeux de ton intellect, [785] toi qui est devenu le véritable amant de la bienheureuse sagesse du Christ, considère l'âme selon la première entrée de la sainte synaxe, loin de l’égarement et de l’agitation qui de l’extérieur provient des réalités matérielles, comme il est écrit : “Femmes qui venez du spectacle, par ici!” Je veux parler de cet égarement de l'âme dans les aspects et les contours, que lui donnent à voir les réalités sensibles.

(...) [793] <aspects et contours> d’après lesquels s’impose la guerre continue que toutes choses se livrent,[31] cause de leur destruction réciproque, les unes corrompant les autres, et les unes [795] se corrompant dans les autres, n'ayant comme tout résultat que d'être instables et de périr, de ne jamais pouvoir se rencontrer dans un état de permanence sans lutte ni dissension. Considère maintenant comment l'âme, les fuyant précipitamment, entre comme dans une église, comme dans un [800] inviolable asile de paix, dans la contemplation en esprit de la nature, et comment sans lutte, et libre de toute agitation elle s'y trouve avec le Verbe et par le Verbe, notre Dieu grand et véritable, et notre grand prêtre ».[32]

 

Il ressort de ce texte la prise en considération de deux temps, de deux lieux et de deux états. Nous noterons que ce constat ne peut être fait que par les yeux de l’intellect de celui qui est devenu amant de la sagesse du Christ. En un mot, celui qui ne l’est pas devenu, ne verra rien.

Le premier constat est sombre, il décrit l’état du monde et des êtres qui l’habitent lorsque celui-ci et ceux-là sont privés de la grâce du Royaume. C’est celui que l’on constate en dehors de l’Église qui est précisément l’icône “faite-de-mains-d’hommes” d’une réalité divine car “non-faite-de-mains-d’hommes”. L’état qui y est décrit regorge de mot attestant de l’errance, de l’égarement, de la lutte, de la dissension, de la rivalité, de la corruption réciproque, en bref de l’impermanence dans laquelle toute chose est plongée.[33] Cet état concerne non seulement l’individu humain mais toute nature créée.[34]

Il s’agit dans un premier temps de sortir du monde dominé par la guerre et la corruption, pour entrer comme dans une Église que Maxime appelle un inviolable asile de paix dans la contemplation de la nature en esprit. Or cette expression qui reprend la formule consacrée de la physikè théôria, qu’on traduirait aussi bien par ‘contemplation naturelle’, se trouve augmentée par Maxime de l’ajout ‘en esprit’, en pneumati. C’est donc que Maxime perçoit une différence entre les deux modalités perceptives. Le sens général de la formule, sans ajout, relève dans la tradition philosophique d’une étape préparatoire à la théologie naturelle,[35] dans la mesure où la considération de la nature, de la beauté et de la régularité de ses processus permet de nous élever à la Cause toute première, à Dieu. Or ce qui s’impose à la perception sensible seule, c’est la corruption et la mort auxquelles semble inexorablement vouée toute chose. Ce n’est que lorsque l’activité perceptive, de perception sensible seule, devient perception spirituelle, que l’âme voit avec les yeux de l’intellect. Et que voit-elle, en entrant dans l’Église, sinon l’ordre archétype du monde manifesté en types dans la disposition architecturale de l’Église. C’est dans cette Église “faite-de-main-d’homme” que se manifeste une autre Église qui est, elle, “non-faite-de-main-d’homme” ainsi que le soutient Maxime dans le deuxième chapitre de la Mystagogie.[36] L’Église “non-faite-de-mains-d’homme” peut relever soit d’un modèle archétype éternellement pensé en Dieu, modèle archétype intelligible que l’Église “faite-de-main-d’hommes” manifeste ou exprime en type et dont elle est en un sens l’icône sensible. Mais l’Église “non-faite-de-mains-d’homme” peut tout aussi bien signifier toute la création sensible et intelligible ou spirituelle dont l’homme n’est pas l’auteur ainsi qu’on peut facilement en convenir.  En ce sens, la disposition sacrée de l’espace ecclésial reproduit visiblement une disposition sacrée du cosmos à laquelle n’ont accès que ceux qui sont entrés dans l’Église. Là où l’homme privé de la grâce du Royaume ne voit que corruption et destruction réciproque, celui qui a été rétabli dans la grâce du Royaume qu’il possédait à l’origine voit dorénavant les logoi de toute nature créée, logoi qui sont en Dieu et qui manifeste le principe et la fin de toutes choses tels que les conçut le Créateur avant que le temps ne soit créé. L’homme entré dans l’Église, réhabilité dans la grâce du Royaume, participe dorénavant à la vision de Dieu, non pas qu’il voit Dieu, mais il voit ce que Dieu voit et comme Dieu le voit, dans la mesure possible à une créature s’entend.

L’entrée physique dans l’Église, dans la contemplation de la nature en esprit qui s’exerce dorénavant à l’intérieur du bâtiment, a pour visée de restaurer la subordination naturelle de la puissance sensitive à l’esprit. L’activité sensorielle devient alors, ce qu’elle aurait toujours dû rester, spirituelle ou intellective pour l’âme qui a dorénavant le pouvoir de voir toute chose par une perception toute divine par les yeux de l’intellect.[37] Autrement dit, c’est lorsqu’elle se tourne vers Dieu qu’elle est à nouveau en mesure de voir les choses dans leur bonté originelle et dans la fin pour laquelle le Créateur les fit venir à l’existence. Ce n’est d’ailleurs qu’une fois sa puissance sensitive originelle restaurée et guérie que l’âme peut à nouveau se livrer à la contemplation de la nature sensible sans passion, sans lutte ni révolte, sans que cette dernière plutôt que d’icône devienne écran et lieu de perdition pour l’âme passionnée.

Une fois la nature des sens restaurée, c’est le rapport de l’âme à toute chose qui s’en trouve transformé. Elle retrouve son union et son lien naturel avec toute réalité créée, lien sacré qu’elle avait perdu lorsque la grâce du Royaume lui avait été retirée. Or c’est précisément dans l’Église que cette grâce du Royaume lui est restituée ainsi qu’en convient Maxime précisément en commentant la première entrée de l’Évêque dans l’Église, première entrée qui symbolise la première parousie du Verbe de Dieu ainsi que nous l’avons vu précédemment.[38]

 

Celui qui voit à nouveau ce qu’il n’aurait jamais dû cesser voir retrouve en Christ la vocation originelle que lui prête Maxime dans de nombreux textes, à savoir celui de communiquer, à partir de son être pacifié, la paix aux êtres et aux choses qui l’entourent. L’homme avait pour mission de faire en sa propre nature composée la synthèse pacifiée du monde et de toutes ses polarités.[39] Dès lors qu’il eût perdu autant sa mission que l’intégrité de sa nature, il fut pour le cosmos un facteur de division et de séparation. S’étant séparé de la source de la vie, il ne pût plus communiquer que mort et corruption. C’est n’est que lorsqu’il retrouva dans le Christ et par le mystère du Christ ce dont il était alors privé qu’il pût reprendre sa place naturelle dans l’ordre des choses et contribuer, en tant qu’il est l’image de Dieu parmi toutes les créatures, à assurer à nouveau son rôle de vicaire.

 

Remarques conclusives

Une fois à l’intérieur de l’Église, nous sommes à nouveau engagés et inscrits réellement dans le processus d’une divinisation progressive qui qualifie notre être autant que nos actions. Nous sommes entrés alors réellement dans la deuxième division des siècles que nous avons abordée précédemment en citant le 22e chapitre des Questions à Thalassios.

Cette progression va s’opérer en trois temps principaux qu’on pourrait certes subdiviser encore.

(1) Du temps inauguré par la première parousie du Verbe que symbolise l’entrée de l’Évêque dans l’Église jusqu’à la fin de la lecture de l’Évangile qui marque la consommation de ce monde par la fin de la période où l’Évangile est proclamé à toute créature.

(2) De la seconde parousie que symbolise la descente du trône par l’Évêque jusqu’à la fermeture des Portes de l’Église. Ce rite n’est pas sans rappeler la situation des vierges folles qui revinrent vers l’époux toutes portes étant closes même si Maxime n’y fait ici aucune allusion.

(3) De l’entrée des saints et vénérables mystères jusqu’à la communion où Dieu ne laissera vide de sa présence aucune parcelle de ceux qui y participent. C’est là l’héritage attendu, la Table du Royaume, le festin promis. Le processus de ressemblance est parachevé par la communion aux saints et divins mystères et d’homme, l’homme est devenu dieu par participation

 

Seule la première séquence, de l’entrée de l’Évêque à son ascension sur le trône, correspond à des événements ‘chronologiquement’ passés eu égard à notre expérience du temps sensible. La deuxième et la troisième séquences en revanche sont chronologiquement, par rapport à nous, des événements futurs, bien qu’ils fassent mystérieusement et liturgiquement irruption dans notre chronos présent. Les actions rituelles qui représentent ces événements sous un mode iconique n’en sont pas moins efficient maintenant dans la mesure où l’effet attendu se produit dans un kairos qui transcende l’espace/temps qu’hors de l’Église les fidèles expérimentent sensiblement encore, espace/temps qu’ils retrouveront d’ailleurs ‘en un certain sens’ lorsque la célébration sera achevée. Il est à noter toutefois que ce qui est liturgiquement donné alors, échappant à la chronologie destructrice, demeure présent dans le fidèle qui retourne dans le siècle présent, dans la vie familiale, dans la vie sociale et dans la vie de la cité.

Les transformations et transfigurations humaines, individuelles et collectives, vécues alors ne sauraient rester dans l’Église. L’être de l’homme est devenu un être ecclésial, et pour Maxime, l’homme lui-même est devenu ‘église’.[40] La création entière, réinvestie sur ce mode-là, est à nouveau ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une “Église-non-faite-de-main-d’homme” dans laquelle le chrétien peut à nouveau exercer son sacerdoce royal et vivre sous le régime de la seule charité. C’est dans cette transformation, dans la création nouvelle inaugurée dès l’heure présente qu’est manifesté le bien le plus commun de toutes choses, ce bien, cet être bien, cet être toujours bien, auquel toute chose secrètement aspire. Et cet esprit recouvré se traduit, ou devrait se traduire, si l’homme est effectivement entré dans l’Église, par une pratique de charité qui soit à la hauteur du don reçu.

 

Comme l’affirme admirablement Maxime dans le dernier chapitre synthétique de la Mystagogie :

 

 « [1110] La preuve certaine de cette grâce <N .B. : on parle bien de la grâce du Royaume restituée, et de la grâce de la déification reçue dans la communion aux saints mystères> est la libre disposition de bonne volonté envers le semblable, par laquelle il se fait que chaque homme qui a besoin en quelque chose de notre aide nous devienne familier comme Dieu et que nous ne le laissions pas abandonné et négligé, mais que nous lui montrions avec le zèle convenant, en acte, la disposition [1115] qui vit en nous envers Dieu et envers le prochain. L'œuvre est la démonstration de la disposition. Rien en effet n'est tellement facile pour la justification, ni si apte à la déification, si l'on peut ainsi appeler la proximité à Dieu, que la miséricorde offerte de l'âme aux nécessiteux, avec volupté et joie.

[1120] Car, si le Verbe a montré que celui qui a besoin de bienfaisance est Dieu - Car, dit-il, tout ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits vous l'avez fait à moi (Mt 25,40) - Dieu, qui l'a dit, montrera d'autant plus Dieu par la grâce et la participation, celui qui peut faire le bien et le fait, [1125] parce qu'il a pris par une bonne imitation la force et la propriété de sa propre bienfaisance.

Et si le pauvre est Dieu par la condescendance de Dieu qui s'est fait pauvre pour nous (2Cor 8,9) et qui a pris sur lui par ses propres souffrances les souffrances d'un chacun et qui jusqu'à l'accomplissement du siècle en proportion de la souffrance de chacun souffre toujours mystiquement par sa bonté, [1130] avec d'autant plus de raison et en vérité sera Dieu celui qui guérit lui-même de manière divine par la philanthropie en imitation de Dieu les souffrances de ceux qui souffrent, et qui se montre avoir dans sa disposition et toute proportion gardée la même puissance de la providence salvatrice que Dieu a ».[41]

 

Ce texte éloquent par lui-même atteste s’il le fallait que celui qui est devenu dieu par participation vit désormais d’une vie divine. L’homme parvenu à la ressemblance parfaite, autant que faire se peut dans les conditions présentes, reproduit dans ses propres dispositions intérieures et extérieures, dans ses propres gestes les mêmes gestes que Dieu en ce qu’il participe à sa bonté et à sa providence. Et cette perfection de la ressemblance s’acquière dans la liturgie, par l’entrée dans l’Église, par la participation libre et consciente aux événements de notre salut, symbolisés par les rites de la diataxis liturgique qui peuvent à la mesure de la disposition du fidèle être efficace. La charité pratique qui résulte de cette participation et de ses degrés atteste de la réalité de la disposition du nouvel homme. Cet homme réhabilité dans sa nature se maintient constamment dans la grâce du Royaume restituée, par une communion sans cesse renouvelée à Celui qui lui confère dès l’heure présente les biens qui n’apparaissent au plus grand nombre que comme des biens futurs.

S’il est un seul bien à viser pour Maxime le Confesseur, un bien à la fois commun et particulier à atteindre, c’est d’être dynamiquement réinscrit dans la grâce du Royaume, dans la célébration éternelle du Dieu éternel, du seul désirable.

 

 

Bibliographie

Éditions critiques

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Traductions seules

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Trad. italienne :

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Trad. anglaise :

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Bibliographie générale

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[1] Maxime le Confesseur, Ad Thalassium LX.33-34 (Laga-Steel éd.).

[2] Cf. l’introduction de Paul Géhin, dans, Chapitres des disciples d’Evagre, Paris, Cerf, SC 514, p.27.

[3] Chapitres des disciples d’Evagre 7.

[4] Cf. Maxime le Confesseur, Expositio orationis dominicae 135–144 (Van Deun éd.).

[5] Voir la brève notice de Peter Van Deun dans, La théologie byzantine et sa tradition, vol. I,1 (VIe-VIIe), C.G. Conticello éd., Turnhout, Brepols Publishers, Corpus Christianorum, 2015, p.405–408.

[6] Voir toutefois, M.–L. Charpin–Ploix, « La réception du Concile de Chalcédoine dans la Mystagogie de Maxime le Confesseur », Revue des sciences religieuses, 89/3 (2015), 373–392.

[7] Voir Myst Prooïmion 9–10, 75 ; 1.130 ; 8.601–602 ; 9.624 ; 16.722 ; 24.883. Pour bien saisir l’élévation du propos qui sera tenu par Maxime par référence à ce bienheureux vieillard, nous pouvons simplement rapporter ce qu’il dit du degré d’illuminations de ce dernier : « je ne promets pas dire par ordre tout ce que le bienheureux vieillard a contemplé mystiquement, d’autant plus que ses paroles n’ont pas toujours pu exprimer ce que contemplait son intellect. Cet homme, en effet, étant philosophe et maître en toute science, par l’abondance de sa vertu et par une longue et savante expérience et par son amour pour le travail s’était libéré des liens de la matière et de ses fantaisies ; de sorte qu’il avait l’intellect comme naturellement illuminé par les divins rayons et pouvait ainsi voir immédiatement des choses que les gens ordinaires ne voient pas. Il avait aussi un don de la parole qui lui permettait d’expliquer de la façon la plus exacte les choses qu’il contemplait ; et comme un miroir pur de toute tache de passions, il avait la puissance de comprendre et de dire clairement des choses que d’autres ne pouvait pas apercevoir, de façon que les auditeurs pouvaient comprendre tout le sens de son discours, et de telle manière que par l’intermédiaire de sa parole les auditeurs recevaient clairement ses considérations dans toute leur signification », Myst Prooïmion75–90.

[8] Myst 24.970–972.

[9] Pour le détail du plan, voir, P. Mueller-Jourdan, Typologie spatio-temporelle de l’ecclesia byzantine, Leiden, Brill, 2005, p. 11–22.

[10] Sur ces divers points, la voie ouverte par les recherches comparatives de Boudignon entre la Mystagogie de Maxime et la théurgie de Jamblique s’avère des plus prometteuses. Voir, Ch. Boudignon, Jamblique et Maxime le Confesseur, cosmologie et théurgie, dans, Questioning the World: Greek Patristic and Byzantine Question-and-Answer Literature, B. Demulder & P. Van Deun éds., Turnhout, Brepols Publishers, Lectio 11. Studies in the Transmission of Texts & Ideas, 2021.

[11] Cf. Myst 2.250–251.

[12] Cf. Myst 2.229–231.

[13] Cf. Myst 24.1057–1059.

[14] Cf. Myst 24.818–820.

[15] Cf. Myst Prooïmion 81–83.

[16] Pour Maxime, toutes les catégories qui déterminent l’Univers créé préexistent en Dieu. Par ex. : « Les logoi du temps (= toutes les déterminations temporelles sous une forme unifiée) demeurent en Dieu » (Ambiguorum liber 10, PG 91, 1164b).

[17] Ad Thalassium 22.4-16.

[18] Le temps, qu’il soit conçu comme χρόνος, sous la modalité d’une temporalité séquentielle propre au monde sensible, ou αἰών propre à désigner la temporalité des intelligibles et du monde angélique, recense tout ce qui tombe sous la catégorie “ quand ” (Cf. Centuries sur la théologie et l’économie de l’Incarnation du Fils de Dieu 1.5, PG 90, 1085a).

[19] Cf. P. Mueller–Jourdan, Maxime le Confesseur. III. Points fondamentaux de la théologie : Éléments de logique, d’éthique, de physique et de théologie, dans, La théologie byzantine et sa tradition, vol. I,1 (Vie–VIIe), C.G. Conticello éd., p.495 ss.

[20] Cette citation de la première épître de Pierre (I Pi 1.19–20), qui fait difficulté dans un contexte monastique encore imprégné par l’origénisme, est discuté dans le soixantième chapitre des Questions à Thalassios. Nous avons abordé à plusieurs reprises ce problème. Voir en particulier, P. Mueller–Jourdan, Maxime le Confesseur. III. Points fondamentaux de la théologie : Éléments de logique, d’éthique, de physique et de théologie, dans, La théologie byzantine et sa tradition, vol. I,1 (VIe-VIIe), C.G. Conticello éd., p.496–497 ; The Foundation of Origenist Metaphysics, dans, The Oxford Handbook of Maximus the Confessor, P. Allen & B. Neil éds., p.149–163.

[21] Le plan typique de l’église byzantine se trouve en annexe et peut constituer une aide pour identifier les mouvements de l’Évêque surtout en raison du fait qu’il symbolise le Christ que Maxime appelle notre grand-prêtre. On trouvera également en annexe sous la forme d’un tableau synthétique les rites, leur sens symbolique et les effets attendus.

[22] Myst 8.604–616, « La première entrée de l'évêque dans la sainte Église au cours de la sainte synaxe, figurait et représentait le premier avènement en ce monde du Fils de Dieu, le Christ notre Sauveur, en sa chair. Par là le Christ libéra la nature humaine asservie à la corruption, soumise par sa propre faute à la mort, à cause de son péché, et régentée tyranniquement par le diable. Il acquitta toute sa dette comme s'il en avait été responsable, lui qui n'y avait aucune responsabilité et qui est sans péché ; puis il nous réintroduisit dans la grâce de son royaume que nous possédions à l'origine, en se donnant lui-même en rançon pour nous, et en offrant à la place de nos passions destructrices sa passion vivificatrice, remède salutaire et sauveur de tout l'univers ».

[23] Cf. Myst 8.616–619.

[24] Myst 14.692–713.

[25] Myst 16.721–725.

[26] Cf. Myst 21.

[27] Il reprendra une dernière fois tous les rites en convoquant alors le gnostique qu’il comparera aux simples fidèles et aux moines qui sont encore dans l’ascèse et les exercices spirituels et qu’on appelle pratique.

[28] L’édition savante a récemment signalé la dette contractée par Maxime dans ses propres Centuries sur la Charité vis-à-vis de la tradition évagrienne, voir par exemple : Chapitres des disciples d’Evagre, P. Géhin éd., Paris, Cerf, SC 514, 2007, p. 27–28.

[29] Cité dans Myst 24.1086–1090 : « Comme dit le saint apôtre, mortifiant nos membres qui sont sur la terre, la fornication, l'impureté, la luxure, toute mauvaise convoitise et la cupidité qui est une idolâtrie, par lesquels vint la colère sur les fils de l'incrédulité, et toute colère et animosité et [1090] les paroles déshonnêtes et le mensonge » (Col 3,5-9).

[30] Description du vice de l’homme en Myst 9 : homicide, adultère, voleur, superbe, vantard, violent, ambitieux, avare, calomniateur, haineux, enclin à l'emportement et à la colère, porté à l'injure et à la délation, médisant, sujet à l'envie, buveur etc.

[31] Voir également Ad Thalassium 27.61–64 :  « En effet, la corruption des réalités et leur guerre les unes avec les autres se tiennent dans le sensible, mais dans les logoi il n’y a absolument jamais d’opposition ». Il n’est pas improbable que Maxime ait connu la théorie héraclitéenne de la guerre présidant par nécessité à la nature et à ses processus. Voir les fragments et le commentaire d’un choix de ces derniers dans : Les philosophes présocratiques, G.S Kirk, J.E. Raven, M. Schofield éds., Paris–Fribourg, Cerf, Vestigia 16, 1995, p.206–207.

[32] Myst 23.784–803.

[33] C’est en un sens à un constat similaire que parvient Héraclite d’Éphèse. Cf. Platon, Cratyle 402a (=Diels–Kranz : Héraclite A.VI) ; Aetius, Opinions, I, XXIII, 7 (= Diels–Kranz : Héraclite A.VI) ; Simplicius, Commentaire sur la Physique d’Aristote 887.1–2, 1313.8-12.

[34] Le récit de la Genèse et en particulier le descriptif de l’état consécutif à la désobéissance d’Adam a pu largement inspirer toute la tradition patristique sur la considération du drame que connaissent présentement toutes les créatures privées, en un sens, de leur mode primitif de vie et de la paix qui aurait dû en résulter. Le récit de la Genèse décrit alors l’hostilité réciproque entre la femme et le monde animal, les rapports de pouvoir, séduction et domination, entre l’homme et la femme, et les rapports de forces et de résistance entre l’homme et la terre. Cf. Genèse 3.1–24. Nous avons brièvement étudié le paradoxe de cette situation dans la contribution suivante : P. Mueller-Jourdan, L’homme et son écosystème. Traces antiques d’une cohabitation responsable : entre échec et promesse, dans, O. Landron éd., Écologie et Création, Actes du colloque ‘Écologie et création, enjeux et perspectives pour le christianisme aujourd’hui’ (UCO-Angers, samedi 17 mai 2008), Parole et Silence, 2008, p. 99–111.

[35] Voir, Proclus, Sur le Timée I.226.29–227.3 : « Si en effet l’Univers est créé, il a été créé par une cause : il y a donc une Cause Démiurgique de l’Univers. S’il existe un Démiurge, il existe aussi un Modèle du Monde d’après lequel a travaillé Celui qui a construit l’Univers. C’est ainsi que, une chose à la suite de l’autre, se déroule à nos yeux le discours sur ces problèmes et que s’achève, pour notre bonheur, en théologie la théorie de la Nature ».

[36] Cf. Myst 2.229–231.

[37] Cf. Myst 24.818–820.

[38] « Il nous réintroduisit dans la grâce de son royaume que nous possédions à l'origine », Myst 8.612–613

[39] Voir, Maxime le Confesseur, Ambiguum 41 (1305ab) : « La cinquième division concerne la créature ultime, sorte de laboratoire où tout se concentre, surintroduit providentiellement parmi les êtres par genèse comme médiateur naturel entre les extrêmes de toutes ces divisions : l’homme, divisé lui-même en mâle et femelle, qui possède naturellement, en sa situation médiane, toute faculté d’unification de par la relation de ses parties à tous les extrêmes. Par cette faculté, conformément à la cause de la genèse des êtres divisés, se parachève le mode qui devait par lui-même rendre manifeste le grand mystère du plan divin, en menant harmonieusement à bonne fin l’unification réciproque des extrêmes d’entre les êtres, progressant des plus proches aux plus éloignés et des moindres au plus excellents, par une tension dont l’aboutissement culminerait en Dieu ». Nous avons étudié cette question dans notre contribution : P. Mueller-Jourdan, Maxime le Confesseur. III. Points fondamentaux de la théologie : Éléments de logique, d’éthique, de physique et de théologie, dans, La théologie byzantine et sa tradition, vol. I,1 (VIe-VIIe), C.G. Conticello éd., p. 464–470.

[40] Voir, Myst 4.273–284 : « L'homme est une église mystique. Par la nef qu'est son corps, il illumine les puissances actives de son âme par la force des commandements conformément à la philosophie morale; par le sanctuaire de son âme, il transporte en Dieu, par la contemplation physique et par le moyen de la raison, les raisons sensibles détachées très purement de la matière dans l'esprit ; par l'autel de son esprit enfin, il appelle à son secours ce silence, couvert de louanges dans les temples, le silence de la grande voix invisible et inconnaissable de la Divinité, et cela, par le moyen d'un autre silence, loquace celui-là et très sonore. Et, autant qu'il l'est permis à l'homme, il vit avec elle et devient tel qu'il convient que soit celui qui est jugé digne de la présence de Dieu et est marqué de sa fulgurante splendeur ».

[41] Myst 24.1110–1134.