Dysfonctionnements paradoxaux. De l’origine du mal : Saint Augustin et le manichéisme

TitreDysfonctionnements paradoxaux. De l’origine du mal : Saint Augustin et le manichéisme
Type de publicationArticle
Année de publication2014
LangueFrançais
Titre de la revueCahiers de Philosophie et de Théologie
Volume2014
Numéro3
Pagination163-184
Auteur(s)Mueller-Jourdan, P.
Texte complet

Dysfonctionnements paradoxaux. De l’origine du mal

Saint Augustin et le manichéisme

La plupart des systèmes antiques, qu’ils soient philosophiques ou religieux, partent d’une expérience et d’un constat largement partagés. Ils concernent notre situation actuelle où se croisent et s’entrecroisent des sentiments confus et paradoxaux au regard de la vie, de la mort, du bien du mal, de la joie et de la souffrance. Cette expérience combine deux éléments fondamentaux.

Le premier relève du constat de l’impermanence, autrement dit de l’évanescence foncière des êtres et des choses qui constituent le monde présent, le monde matériel et sensible dans lequel nous vivons. Tout ce qui est en vie n’est qu’apparence de vie et est inéluctablement condamné à mourir. Tout ce qui naît, sitôt engendré, est voué à la corruption. Il n’y a de vie que provisoire. La dominance de la corruption entraîne tôt ou tard tout vivant vers son propre anéantissement. Ce constat qu’imposent les faits et la souffrance qui en découle, souffrance de ne jamais atteindre ce qui est désiré, souffrance de perdre inéluctablement ce que l’on croit tenir, vient interroger l’intime de l’homme sur sa propre existence constituée de vie mêlée de mort où le bien même paraît abdiquer devant le mal.[1]

 

Le second point relève d’une expérience tout aussi commune faite par l’homme et en l’homme d’un conflit interne, d’une guerre intestine, qui voit s’opposer, parfois violemment, deux inclinations. L’une l’attire vers bas, vers le monde des corps, la chair, la matière, les ténèbres, l’autre pousse vers le haut, vers la forme, l’esprit et la lumière. Jamblique, un auteur platonicien du troisième siècle de notre Ère, en parle très explicitement comme d’une discorde innée, d’une dualité de la nature humaine en évoquant l’animal étranger qui s’est attaché à nous dès notre naissance.[2] Cette expérience du double mouvement soit vers le haut, soit vers le bas, affleure fréquemment dans l’œuvre de saint Augustin.[3]

 

Il ne faut pas négliger les interrogations issues de tels constats, parfois anxiogènes, car elles furent historiquement un puissant facteur de développement de la pensée humaine et l’on pourrait même se demander si elles ne sont pas l’un des principaux moteurs de la pensée de saint Augustin lui-même.

Face à de telles interrogations qui partent de faits tant physiques que psychologiques parfaitement observables, vont apparaître de nombreuses tentatives cherchant à expliquer le sentiment que ce qui s’impose présentement à l’existence humaine est contradictoire, qu’il n’est pas normal au sens fort, qu’il n’est pas la norme, qu’il n’est pas dans l’ordre des choses.

On voit naître en divers lieux et diverses périodes de l’histoire humaine le modèle dit des trois temps. Une sorte d’histoire mythique. Un temps initial. Un temps présent. Et un temps final. Plusieurs mythes explicatifs provenant de la plus haute antiquité cherchent à rendre compte selon un schéma parfaitement rodé du fait que la situation actuelle perçue comme confuse, vécue comme problématique, résulte de la perte d’une situation initiale heureuse que l’on qualifiera volontiers de divine car elle est faite de stabilité et de paix ; situation initiale à laquelle il faudra, par des médiations de salut, revenir. Le mythe permet de comprendre, d’expliquer et de gérer la situation présente et ainsi de contribuer par l’éveil, la gnose et certaines pratiques très codifiées au rétablissement de l’ordre initial perdu qui est considéré comme le seul ordre naturel.

Si c’est la situation présente de l’homme qui intéresse d’abord chacun des modèles d’explication que nous pouvons collecter dans l’Antiquité, c’est à la lumière de la situation primitive dans le temps initial et de la situation restaurée, ou de la nouvelle création, dans le temps final que la situation présente doit nécessairement être comprise; le temps initial et le temps final seront, soit religieusement révélés, soit philosophiquement reconstruits. La vie présente est, dans un tel schéma, dorénavant conditionnée par la doctrine des origines et celles des fins dernières. L’homme, du moins celui qui a conscience et connaissance de ce que le mythe révèle, vit, organise et accorde dorénavant la vie présente en fonction du regard qu’il porte sur le lieu d’où il pense venir, où sa nature véritable n’était pas mêlée de ce qui présentement la dénature, et sur le lieu où il croit devoir aller où il retrouvera sa vraie nature définitivement affranchie de toute mixtion, de toute corruption et de toute duplicité. Ce schéma constitue un fait suffisamment prégnant dans les interrogations humaines pour ne pas le négliger quand on envisage de porter son regard non seulement sur les siècles passés mais également sur le nôtre propre. On peut admettre, tant sur le plan de l’histoire des religions que sur celui de l’histoire de la philosophie, que deux modèles explicatifs jouent un rôle prépondérant dans l’histoire humaine. On les trouve face à face au siècle d’Augustin. Je veux parler du dualisme et du monisme. Il faudrait d’ailleurs pour être plus exact parler de dualismes et de monismes au pluriel.

Il est important de ne pas négliger cette question de fond car elle imprègne bien souvent notre propre façon d’appréhender la vie, de nous appréhender nous-mêmes, autrui, le monde sensible, la terre donc, de même la place que nous pensons que l’homme doit y tenir.

Les formes tant de dualisme que de monisme qu’Augustin, jeune professeur de Rhétorique, va connaître et auxquelles il va adhérer successivement en deux moments critiques de sa vie proviennent du troisième siècle.

- Le dualisme est, dans la forme qu’en connaît Augustin, imputable à Mani (216-276), jeune perse, issu d’une communauté judéo-chrétienne hétérodoxe de Mésopotamie, qui vers l’âge de douze ans aurait fait une première expérience d’éveil religieux qui va le conduire à élaborer sous la conduite de son double, de son jumeau céleste, les premiers linéaments d’un mythe fournissant une explication sinon rationnelle, du moins suffisamment convaincante de l’état présent problématique tant du monde que de l’homme.

- Le monisme lui, dans la forme qu’en a connue Augustin, a son plus éminent représentant dans la personne d’un platonicien, originaire d’Égypte mais qui enseignait à Rome vers le milieu du 3ème siècle. Il s’agit de Plotin (205-270). Il est contemporain de Mani. Nous sommes bien renseignés sur l’œuvre de Plotin qui nous est parvenue grâce à la diligence de son élève Porphyre qui a recueilli, rassemblé et classé après la mort de son maître cinquante-quatre traités regroupés en six volumes de neuf traités, appelés Ennéades. Ces Ennéades, ou du moins une partie d’entre elles, ont été traduites en latin, si l’on se réfère au livre des Confessions (VIII.II.3), par Marius Victorinus, africain d’origine et rhéteur à Rome dans le courant du IVe siècle. Un exemplaire de cette traduction devait être remis à Augustin par l’un des membres[4] du cercle de lettrés milanais qui entouraient l’évêque catholique de Milan, Ambroise, au moment où Augustin, en proie à de sérieux doutes sur le bienfondé de la doctrine manichéenne, s’en écartait définitivement. Ces documents connus sous le nom de Libri platonicorum, les livres platoniciens, allaient jouer un rôle considérable dans l’esprit d’Augustin. On a beaucoup écrit sur ce cercle milanais et sur l’impact qu’il eût dans la conversion d’Augustin au point qu’on considère aujourd’hui que son retour à l’Église catholique a été rendu possible par une première conversion philosophique, une conversion au monisme de Plotin,[5] prélude sans doute nécessaire pour changer de paradigme et de clé de compréhension des êtres et des choses que le dualisme manichéen lui avait apportés. On verra que Plotin part d’un constat similaire à celui qui devait donner naissance au manichéisme mais la réponse que devait apporter le platonicien alexandrin, tant au problème de la corruption qu’à celui de l’état actuel pitoyable de l’âme, partait de prémisses radicalement différentes de celle de Mani.

 

Voyons d’abord les principales lignes du dualisme auquel Augustin a adhéré durant près de dix ans avant d’en devenir l’un de ses plus virulents détracteurs. Pour faire simple, le dualisme tel qu’il est décliné par le manichéisme, pose à l’origine, soit dans le temps initial, deux principes éternels antagonistes, en tension maximale. Il faut préciser que dans le temps initial ces deux principes ne sont pas ouvertement en guerre mais cohabitent chacun chez soi bien qu’une force expansive les pousse à s’étendre. Ces principes sont appelés Dieu et Matière, Lumière et Ténèbre, Bien et Mal, personnifiés par Mani en Père de la Grandeur pour le Bien et Prince des Ténèbres pour le Mal. Il règne l’un et l’autre sur deux régions, avec deux systèmes d’organisation clos l’un à l’autre mais pas totalement imperméables car il semble, dans le mythe manichéen, qu’on ait de part et d’autre une certaine connaissance de ce qui se passe dans l’autre région. Le temps médian -selon le système des trois temps esquissé plus haut, notre propre temps donc- est inauguré au moment où la frontière délimitant l’action de chacun des systèmes est rompue. Le Père de la Grandeur en effet pressentant la menace et des mouvements inhabituels sur la frontière envoie une émanation de lui-même, appelé ‘Homme primordial’ dans le mythe, afin de vouer à néant, par une sorte de guerre préventive, toute velléité du royaume des ténèbres, semble-t-il désireux de faire main basse sur le royaume de lumière. La mission vire à l’échec cuisant car les Ténèbres se referment sur la part de lui-même que Dieu avait envoyée.

Selon le mythe manichéen, il en résulte un brouillage, un endormissement, une sorte de perte de conscience de cette part de Dieu qui doit être sauvée. Cette part de Dieu que le manichéisme appelle Homme primordial revient à la conscience et des Ténèbres dans lesquelles il était enseveli s’adresse au Père de la Grandeur. Pour sauver la part de Lui-même aux fers dans le domaine des Ténèbres, Dieu lui-même envoya des sauveurs, sorte d’émanation de lui-même.[6] Le sauvetage de l’Homme primordial -sauvetage qui représente le type même du salut- réussit mais n’est cependant pas complet car le mythe précise que ce dernier est contraint de laisser derrière lui certains éléments de lui-même.[7] Sauver ces fragments de l’Homme primordial qui -bien que par nature lumineux- demeure souillée, tâchée, affaiblie, ensevelie dans l’oubli, la souffrance, l’inconscience va être le motif et le but unique de la formation du monde.[8]

Le mythe admet que l’état actuel des choses relève d’un drame divin qui bouleverse l’antique ordre des choses où les domaines du bien et du mal étaient, dans leur nature propre respective, radicalement séparés. Il s’ensuit donc -dans le temps médian- qu’advient une violente et effroyable mixtion, sorte d’alliage contre-nature de deux natures hétérogènes.[9]

Ces éléments de l’Homme primordial, parts de Dieu fragmentés en autant de parcelles dorénavant disséminées, parcelles ignorantes d’elles-mêmes mais dont l’aspiration secrète à la Rédemption est toujours prompte à se réveiller, ont fait du manichéisme une des ‘religions’ de salut les plus vigoureusement missionnaires que l’Antiquité ait connue.

Le mythe manichéen était conçu de façon à se présenter comme l’accomplissement de toutes les doctrines de salut, individuel et collectif, antérieures qu’elles soient judéo-chrétiennes ou philosophiques. Il représentait la réponse la plus complète à la question de la souffrance et du mal dont l’homme est, ou se dit, victime. Les manichéens pouvaient aller jusqu’à trouver dans les Épîtres de Saint Paul une sorte de préparation à la révélation de Mani qui se considérait lui-même comme le Paraclet, l’esprit qui devait venir, après Jésus, pour éveiller la part de Dieu inconsciente en l’homme et le conduire dans la vérité tout entière.

Dans le Contra Faustum, Augustin répond systématiquement à un ouvrage que l’un des plus populaires évêques manichéens de son temps, Fauste de Milève, lui aussi africain, avait rédigé à l’intention des manichéens fréquemment pris à parti dans des controverses initiées par les catholiques.[10] Le problème est que cet ouvrage tombé dans les mains de catholiques qui n’en étaient pourtant pas les destinataires semble avoir causé un réel trouble dans leur rang car on enjoint expressément Saint Augustin de déconstruire point par point l’argument de Fauste.[11]

Fauste trouvait dans les Épîtres pauliniennes plusieurs expressions qui pouvaient être comprise à la lumière de la doctrine manichéenne.

Il rapporte le cas d’une question controversée qu’un chrétien pourrait poser à un manichéen dans une mise en scène fictive mais préparatrice des débats qui pourraient advenir. Voici la question que le chrétien pourrait poser :

« Pourquoi niez-vous, vous les manichéens, que l’homme soit créé de Dieu? »

A quoi le manichéen pour justifier sa croyance est invité par Fauste à répondre :

« Nous ne nions pas absolument que l’homme soit créé de Dieu ; nous demandons seulement quelle espèce d’homme, quand et comment il est créé. En effet, selon l’Apôtre, il y en a deux : l’un qu’il appelle parfois extérieur, plus souvent terrestre, ou encore vieil homme ; l’autre qu’il appelle intérieur, céleste, nouveau (Rom. VI, VII ; I Cor. XV; Eph. III, IV; Col. III). Nous demandons lequel de ces deux hommes est l’œuvre de Dieu. Il y a aussi dans notre naissance deux époques : l’une, quand nous sommes enchaînés dans les liens de la chair et que la nature nous met au jour ; l’autre, quand la vérité nous arrache à l’erreur et nous régénère, en nous initiant à la foi ».

On peut sans peine comprendre le trouble que devait susciter auprès de certains croyants catholiques cette forme d’arguments qui venait, semble-t-il, confirmer la doctrine du mélange de lumière et de ténèbre, de céleste et de terrestre en l’homme, et donc la doctrine des deux principes. Si Dieu ne pouvait être, pour le manichéen, que le créateur de l’homme céleste et non du terrestre, qui était donc le créateur du terrestre ? Fauste pouvait d’ailleurs trouver dans l’Épître aux Éphésiens confirmation de sa croyance dans la dialectique du vieil homme qui va se corrompant au fil des convoitises décevantes et de l’homme nouveau, qui seul est créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté (cf., Eph. IV.22-24).

Si l’homme nouveau a été créé selon Dieu, qu’en est-il du vieil homme ?

Augustin qui connaissait parfaitement la doctrine des manichéens devait déceler sans trop de difficultés le subterfuge rhétorique du maître manichéen. Il lui répond d’ailleurs en invoquant les fondamentaux de la doctrine manichéenne et la pratique qui en découlait. Il est en effet clair que pour le manichéisme l’homme n’est pas créé par Dieu, l’argument de Fauste ne saurait donc s’appuyer sur les versets pauliniens convoqués. Comme le rappelle Saint Augustin dans sa réponse :

« Car, ils <les manichéens> ne disent pas que l’homme a été formé ou créé, ou établi par Dieu, mais qu’il est une partie de la substance de Dieu envoyée contre les ennemis ; ils ne veulent pas qu’il soit devenu vieil homme par le péché, mais qu’il ait subi le joug de la nécessité, qu’il ait été défiguré par les ennemis, et autres billevesées qu’il me répugne de redire ».[12]

Cette capacité des manichéens à s’acclimater au milieu comme dans le fait de trouver dans les Écrits pauliniens d’importants points de convergence avec les fondamentaux de la doctrine de Mani,[13] cette adaptabilité de la nouvelle doctrine de salut devait également s’appliquer aux quelques écoles platoniciennes païennes qui fleurissaient dans l’Empire romain. En effet, certaines ambiguïtés dans l’œuvre de Platon semblaient résolues par l’explication manichéenne des trois temps et d’un dualisme âme/corps, enté sur le dualisme métaphysique de l’intelligible et du sensible, que le platonisme n’avait pas encore pris soin de préciser.[14]

C’est ainsi que l’on pouvait voir au IVème siècle, des manichéens en dehors de leur propre église, fréquenter l’Église catholique ou du moins rencontrer une réelle sympathie chez certains de ses membres. Il serait malaisé de faire un procès d’intention aux manichéens. Il est vraisemblable que fidèles à la mission de salut de laquelle ils se croyaient investis, ils se soient fréquemment approchés des catholiques. Il en allait de même dans les Écoles néoplatoniciennes qui peinaient à extirper l’interprétation hétérodoxe et religieuse de Platon de certains élèves sinon manichéens eux-mêmes du moins sympathisants de la nouvelle doctrine.[15] Le soin mis aux réfutations de la nouvelle doctrine atteste de la perception du danger d’un système total, englobant, inclusif, sorte de religion universelle qui prétendait répondre aux angoisses et à toutes les interrogations du cœur humain.

 

Que l’homme soit perçu ou se perçoive comme un agrégat disparate de natures et de mouvements contradictoires paraît être un lieu communément partagé par les auteurs de l’Antiquité. Les mots en usage pour décrire l’état de l’âme contrainte par la nécessité à ce mélange hétérogène et violent de la substance divine et de la substance matérielle sont éloquents. Puech, l’un des meilleurs spécialistes du manichéisme, a décrit cet état en des termes qu’on aurait pu aussi bien tenir pour le platonisme et dans une certaine mesure pour le christianisme :

« Sa situation présente -Puech parle de l’âme- lui apparaît comme une contamination anormale, un assujettissement occasionnel <autrement dit un assujettissement brusque, accidentel>. Pour rappeler une série d’images manichéennes, qui sont des thèmes classiques de tout gnosticisme, elle <la situation présente de l’âme> est ‘esclavage’, ‘exil’, ‘oubli’, ‘ignorance’, ‘ivresse’, ‘sommeil’, tous états qui s’opposent à ‘liberté’, ‘patrie primitive’, ‘mémoire’, ‘connaissance’, ‘sobre lucidité’, ‘éveil’, c’est-à-dire à tout ce que suppose ou comporte une condition antérieure pour le moment effacée mais que permettront de retrouver le rejet des chaînes charnelles et la conscience même de cette situation aberrante ».[16]

Mais à la question de la raison d’une telle situation, dont le constat aurait pu être fait aussi bien par le platonisme que par le christianisme, le manichéisme répond qu’elle a pour cause la Matière, non pas la matière inerte mais la matière personnifiée douée d’une intentionnalité malfaisante.

Voici comment la question est explicitée dans l’un des dossiers manichéens qui nous est parvenu :

« La Matière <pour rappel, il s’agit d’un autre nom du Mal dynamique en expansion> a fait le premier homme aveugle et sourd, inconscient et égaré, au point qu’il ne connaît ni son origine première, ni sa race (sa famille divine). Elle a créé le corps et la prison ; elle a enchainé l’âme qui a perdu connaissance. […] Az (la Concupiscence, la Matière) a solidement lié l’âme au corps maudit. Elle l’a faite horrible et mauvaise, pleine de colère et avide de vengeance ».[17]

Il ressort des documents manichéens que l’âme, portion de Dieu, n’a aucune responsabilité dans le fait d’être dans l’état paradoxal et catastrophique d’alliage contre-nature qui est le sien présentement.

 

Le néoplatonisme, monisme platonicien, part d’un constat similaire au manichéisme. L’homme, plus précisément l’âme, est frappé par l’oubli, l’ignorance et l’exil. L’âme est devenue étrangère à elle-même, foyer de contradiction d’où cette interrogation de Plotin :

« D’où vient donc, demande Plotin, que les âmes ont oublié Dieu leur père et que, fragments venus de lui et complètement à lui, elles s’ignorent elles-mêmes et l’ignorent ? »

<Cette interrogation de Plotin, tel ou tel manichéen et, dans une certaine mesure, tel ou tel chrétien aurait pu la faire sienne, mais la réponse qui suit en revanche aucun manichéen n’aurait pu y souscrire>

« Le principe du mal pour elles <affirme Plotin>, c’est l’audace, la génération, la différence première, et la volonté d’être à elles-mêmes. Joyeuses de leur indépendance, elles usent de la spontanéité de leur mouvement pour courir à l’opposé de Dieu : arrivés au point le plus éloigné, elles ignorent même qu’elles viennent de lui : comme des enfants arrachés à leur père, et élevé longtemps loin de lui, s’ignorent eux-mêmes et ignorent leur pères ».[18]

 

Il ressort de ces deux postures, supportées par deux systèmes profondément opposés, l’un dualiste, l’autre moniste, auxquels Augustin a été confronté au moment où il fréquentait le cercle milanais si au fait de questions platoniciennes, <il ressort de ces deux postures donc> quelques éléments convergents, d’autres profondément divergents.

Le principal point de convergence est le lexique en usage pour décrire ce qu’il faut bien appeler un état interne, un sentiment, qui découle d’une évaluation de l’âme au regard de l’écart entre ce qu’elle considère comme sa nature véritable et le constat présent d’un décalage, d’un dysfonctionnement. Les termes d’éloignement et d’ignorance qui recouvrent les sens d’exil, d’oubli, voire de sommeil ne laissent aucun doute sur la nature du décalage. Il a du y avoir un ‘avant’ et l’on aspire à ce qu’il y ait un ‘après’. De ce point de vue, la doctrine des trois temps comme trame est commune au manichéisme, au platonisme et au christianisme, bien que son contenu, autrement dit les moments de crise qui font passer du temps initial au temps présent et du temps présent problématique au temps final, ne se déclinent absolument pas par les mêmes événements pour chacune des traditions en présence dans le cursus d’Augustin.

De ce clivage quant au contenu des événements de crise découle des thèses radicalement opposées sur la cause ‘métaphysique’ de l’état présent et c’est à ce stade que survient le principal point de divergence.

Pour le manichéisme, la cause du mal présent est imputable d’abord à la convoitise du Prince des Ténèbres qui aspire à étendre son règne sur la région régie par le Bien, mais elle est aussi imputable à l’échec de la guerre préventive du Père de la Grandeur. On s’étonne d’ailleurs de l’apparente impréparation de ce dernier. Peut-être y a-t-il ruse comme on l’a parfois suggéré.

L’opposition porte également sur les conséquences de l’interprétation de l’avènement du mal présent, mal physique et mal moral.

Conséquence 1 :

Pour le manichéisme, ce monde -produit accidentel d’un alliage contre-nature- est foncièrement mauvais et doit être quitté. L’âme, portion de Dieu, n’y a pas sa place. Sa seule raison d’être est de se sauver en contribuant au salut de toutes les portions de Dieu qui lui sont d’ailleurs connaturelles en les détachant de leur gangue matérielle par un ensemble de pratiques très codifiées[19]  et notamment par l’abstention de tout commerce sexuel qui contribue à faire durer cet état de mélange.

Conséquence 2 :

Une autre conséquence qui s’oppose radicalement à la doctrine catholique est la doctrine du péché et conséquemment celle du libre-arbitre. Le manichéen peut certes pécher mais du fait qu’il est une part de Dieu aux prises avec la nécessité d’une condition qui lui est imposée, il n’est pas responsable du mal, au pire peut-il être tenu pour faible pour avoir céder à la pression de la nature virulente dont il est affublé.

Saint Augustin se souvient très bien de ce point. Dans les Confessions, se rappelant que lorsqu’il était manichéen, il croyait :

« … que ce n’est pas nous qui péchons, mais je ne sais quelle autre nature en nous qui pèche <et saint Augustin précise> ; il plaisait à mon orgueil d’être en dehors de la faute, et, quand j’avais fait quelque mal, je ne voulais pas confesser que je l’avais fait, et obtenir ainsi que tu guérisses mon âme puisqu’elle péchait contre toi. Mais j’aimais à m’excuser pour accuser je ne sais quoi d’autre qui eût été avec moi sans être moi ».[20]

La même idée se retrouve dans la notice qu’Augustin consacre aux manichéens dans le De Haeresibus :

« Suivant leur doctrine, le péché ne vient pas du libre choix de la volonté de l’homme ; c’est la substance du parti contraire qui le produit. Partant de là, que la substance du principe mauvais est mêlée à tous les hommes, ils disent que toute chair a été formée, non par Dieu, mais par le mauvais esprit, qui, émané du principe contraire, est coéternel à Dieu. Si nous ressentons en nous la concupiscence de la chair, source des luttes du corps contre l’esprit, cette infirmité n’est point en nous le résultat de la corruption de la nature en Adam ; c’est une substance contraire, tellement adhérente à notre être, que, quand nous en sommes délivrés et purifiés, elle s’en sépare pour vivre elle-même éternellement dans sa propre nature ».[21]

 

On sait par les travaux de Michel Tardieu[22] que, outre la confession annuelle des péchés, la confession hebdomadaire, le lundi jour de la lune, était de coutume dans le manichéisme mais il faut, me semble-t-il, sans faire de procès d’intention aux manichéens, regarder cette confession à la lumière de la condition actuelle de mélange de ténèbres et de lumière. On sait que les mœurs des manichéens vivants dans l’Empire romain n’étaient pas exemptes de scandales. Certains devaient même être notoires comme le rappelle Saint Augustin dans le traité Des mœurs de l’Église catholique et des mœurs des manichéens (De moribus Ecclesiæ Catholicæ et de moribus Manichæorum). Il est très probable que l’Église catholique d’alors devait elle aussi connaître sa part de scandale mais elle n’imputait pas à une nature étrangère la responsabilité des écarts de ses membres.

Pour les manichéens, la confession des péchés devait être une façon de confondre la puissance étrangère qui agit et de s’en désolidariser, une manière de contraindre la puissance étrangère qui s’est mêlée à l’âme bonne -puissance étrangère qui est seule responsable des mauvaises actions- à se dévoiler et aucunement à inculper le moi céleste et lumineux, la part de Dieu entraînée contre son gré dans une action que naturellement elle réprouve.[23] La part de Dieu n’est donc pas cause-responsable du mal commis car ce qui commet objectivement le mal, c’est la puissance obscure de la matière mêlée à l’âme et non la part de Dieu qui est elle entraînée de force dans l’action d’un mouvement qui lui est contraire.

Pour Saint Augustin, ce sont les prémisses qui fondent cette éthique qui sont fausses et en ce sens le manichéisme s’oppose radicalement au christianisme.

A la question d’où vient le mal ? Le manichéisme répond qu’il est le propre d’une nature, d’un principe premier positionné métaphysiquement sur le même plan que Dieu tout en étant son exact opposé. D’où vient la souffrance ? Conséquence de la mixtion contre-nature de l’âme bonne et du corps mauvais, elle en est le symptôme.

A la question d’où vient le mal ? Augustin se propose d’abord de rechercher ce qu’est le mal, ce qu’est sa nature.

A la question, qu’appelle-t-on ‘mal’ ? Augustin, dans le traité De la nature du Bien, affirme qu’on appelle ‘mal’ toute privation de l’être. Le mal n’est donc pas quelque chose, il n’est même pas quelqu’un, même si certains êtres, spirituels et rationnels, dont l’homme, bons par nature car issus du Dieu bon, s’inscrivent volontairement contre leur propre nature d’abord et contre d’autres bonnes natures ensuite. Même l’énergie mise volontairement à mal faire est dans son origine et son fondement une énergie bonne, mais, pour le malheur de celui qui la détourne d’abord, une énergie dévoyée, une énergie corrompue.

Ainsi, lorsque Saint Augustin affirme que le mal n’est pas autre chose qu’une corruption, il veut dire qu’il n’est pas quelque chose en plus mais privation de forme, d’ordre et de mesure.[24]

Privées de formes, les choses bonnes apparaissent comme informes ou difformes.

Privées d’ordre, elles apparaissent comme désordre.

Privées de mesure, elles apparaissent dans la démesure.

Il s’agit dans tous les cas d’une violence faite à la nature bonne des choses.

Tout cela ne répond pas à la question de l’origine du mal.

 

Pour Saint Augustin, et en ce sens il se trouve aux antipodes du manichéisme, le mal en l’homme n’est pas quelque chose d’étranger qui s’ajoute à l’âme mais la corruption de ce qui est, par nature, bon. La division de l’âme, la division de la volonté, la discorde innée, provient d’une maladie héréditaire dans une âme-une dans son principe et non d’un conflit primitif entre l’esprit et la matière ; au point que, pour Saint Augustin, à peine né, l’homme doit chercher à guérir sa volonté fissurée et affaiblie. La grâce de Dieu est dès lors requise, première et nécessaire, dans l’œuvre de restauration de la volonté dans son unité originelle qui pourra sous son action, sous l’action de la grâce, retrouver son office naturel et un rapport avec le monde des corps et de la matière qui soit affranchi de la passion. La passion pour le corps et la matière réduisait alors l’âme à la servitude et à l’exil en dehors de sa nature d’âme. La passion des corps, en effet, appesantie l’âme et la rend en dernier recours charnelle, alors que l’amour du beau, de la forme intelligible, qui est son objet propre, l’élève à la hauteur de son rang. Le thème augustinien vient de Plotin qui le reçoit du Platon du Banquet.

Ce constat ne répond pas à la question de l’origine du mal. Elle explique pourquoi aujourd’hui le mal paraît comme omniprésent et inévitable, une sorte d’évidence.

 

La possibilité d’une négation du bien est donc bien réelle et s’explique philosophiquement comme suit :

Si les créatures sont soumises à la possibilité de la corruption, c’est parce qu’elles ne sont pas immuables par nature. Elles ont, en effet, pour principe et pour point de départ le changement, le passage du non-être à l’être. Le changement, un certain devenir donc, est leur raison d’être. Il en va ainsi pour toute créature et pour toute créature rationnelle et spirituelle également. Le changement préside à leur destinée du fait que leur origine s’enracine dans un changement. On est loin des deux principes immuables du manichéisme. Changeantes par nature, elles ont cependant le pouvoir de se stabiliser et, sans être par nature immuables, d’échapper à leur mutabilité naturelle, du fait de leur relation au Dieu immuable. Dire qu’elles ont le pouvoir de ce maintien, c’est dire aussi qu’elles ont le pouvoir de ne pas en user et donc, de déchoir dans la corruption, non stricto sensu de leur nature car, une fois encore, elles ont le pouvoir de se maintenir dans l’immuabilité mais non le pouvoir de s’anéantir. Seul en effet celui qui a donné l’être pourrait le leur retirer. Mais c’est leur qualité et leur mode de fonctionnement qui peuvent être altérés. On parlera alors d’un dévoiement, d’un détournement de leur bonté native.

 

On comprend que le mal actuel pour Saint Augustin, ce qui est appelé tel, provient d’un dévoiement de ce qui est bon, d’une volonté bonne non divisée à l’origine.

L’origine première de ce dévoiement reste en partie inexplicable. A la question d’où vient le mal ? Augustin répondra clairement : de la volonté,[25] celle qui aujourd’hui est dévoyée, mais en tout premier lieu, il vient de la volonté bonne qui la toute première s’est dévoyée, celle de l’homme en Adam qui fait écho à la désaffection de l’Ange. Cette question particulièrement embarrassante est fréquemment esquivée par la théologie universitaire même si de nombreux textes scripturaires et patristiques y font référence sans toutefois y insister. Comme le soutenait d’ailleurs Saint Augustin, à l’origine :

« Dieu a garanti <aux esprits doués de raison> de pouvoir ne pas être corrompus s’ils ne le veulent pas, c’est-à-dire s’ils conservent l’obéissance au Seigneur leur Dieu et adhèrent ainsi à sa beauté incorruptible. Mais, s’ils ne veulent pas conserver cette obéissance, puisqu’ils sont corrompus volontairement dans le péché, qu’ils soient involontairement corrompus dans le châtiment ».[26]

On admettra donc, si l’on suit Saint Augustin, que conserver l’obéissance au Seigneur a le sens d’adhérer à la beauté incorruptible, ne plus adhérer à la beauté incorruptible, c’est s’en éloigner et se corrompre dans la laideur.

Rien n’est dit toutefois de la raison toute première, du pourquoi initial, du choix de ne plus adhérer à la beauté incorruptible. Il y a, même à un si haut degré d’explication de l’origine du mal, une raison insondable sur les motifs d’un tel choix ; toute réponse ne pouvant être que conjecturale à ce stade de compréhension.

Pour Saint Augustin, la question de la raison, du pourquoi de l’origine toute première du mal, qui n’est ni quelqu’un, ni quelque chose, demeure en partie irrésolue. Le choix de l’homme, du premier homme, qui paraît emboiter le pas au choix de l’Ange n’est pas d’une totale transparence non plus, mais il propose une explication de l’expérience commune d’une fissure de la volonté, sorte de vice de forme dont nous héritons et dont, pour Saint Augustin, nous partageons en fait la responsabilité. Cette position apparaît clairement dans la critique qu’il adressera aux pélagiens.[27] Seule la grâce est, pour Saint Augustin, en mesure de restaurer l’unité d’un vouloir qui peut alors à nouveau se tourner et se maintenir tourné vers la beauté incorruptible.

Reste toujours possible de décliner l’invitation à la seule restauration qui puisse nous rendre à nous-même.

Reste possible, pour Saint Augustin, le paradoxe d’un vouloir qui ne veut définitivement pas de la beauté incorruptible, d’un vouloir paradoxal qui n’a même pas le pouvoir de s’anéantir, qui n’a même pas le pouvoir de n’être pas.

 

Pour conclure sous une forme imagée ce propos sur la question de l’origine du mal qui est au cœur du rapport que Saint Augustin entretint avec le manichéisme de sa prime jeunesse à la période tardive des Rétractations, je voudrais rapporter le texte suivant qui part d’une observation concernant la lumière ‘physique’ :

« Dans une pièce hermétiquement noire, je peux introduire de la lumière, l’inverse n’est pas vrai.

Dans une pièce inondée de soleil, je ne peux mettre les ténèbres. Je peux m’arranger pour retirer la lumière en voilant toutes les fenêtres par exemple.

Dans le premier cas, la lumière était quelque chose que j’ai introduit, dans le second cas, quelque chose que j’ai retirée ou empêchée d’entrer. Mais à aucun  moment je n’ai pu agir sur les ténèbres comme sur quelque chose. Les ténèbres n’existent pas. Elles se définissent comme absence de lumière ».[28]

 

 

 

Bibliographie :

Sources :

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-Augustin (Saint), La nature du Bien (De natura boni), in : Œuvres de Saint Augustin. I. La morale chrétienne, B.Roland-Gosselin éd., Paris, DDB, BA 1, 1936 (traduction partielle).

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-Augustin (Saint), Les Confessions. Livres I-VII, A.Solignac intro., E. Tréhorel et G. Bouissou trad., Paris, IEA, BA 13, 1998 (réédition).

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-Augustin (Saint), Six traités anti-manichéens (De duabus animabus. Contra Fortunatum. Contra Adimantum. Contra epistulam fundamenti. Contra Secundinum. Contra Felicem manichaeum), R.Jolivet et M.Jourjon éds., Paris, DDB, BA 17, 1961.

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[1] Saint Augustin était particulièrement sensible au problème de la corruption des natures, tant sensibles, que rationnelles, qu’il aborde dans le De natura boni, De la nature du Bien. Contre les manichéens, montrant sans aucun doute par là l’importance de cette interrogation pour le manichéisme. Sur la corruption des natures sensibles qui ne sera que très indirectement abordée ici, il faudrait se reporter au paragraphe VIII du traité De natura boni.

[2] Cf., Jamblique, Protreptique [45.20-47.6], E.DesPlaces éd., Paris, Les Belles Lettres, 1989.

[3] Sur l’expérience de ce double mouvement (p.e. Confessions XIII.IX.10) et d’un possible rapprochement avec Jamblique, voir : D.O’Brien, « Pondus meum amor meus : Saint Augustin et Jamblique », Revue de l’Histoire des Religions, 198/4 (1981), 423-428. Voir également sur le conflit des deux volontés et des deux lois, Confessions VIII.V.10-11.

[4] Il semble que ce soit Mallius Theodorus qui passait alors pour un des représentants les plus autorisés de la philosophie de Plotin, voir : P.Courcelle, Recherches sur Les Confessions de saint Augustin, p.153-156. Augustin en a dressé brièvement le portrait dans le De beata vita I.4-5.

[5] Cf., A.Solignac, Introduction à : Saint Augustin, Confessions. Livres I-VII, p.162 ; voir également le chapitre de Courcelle : Chapitre III. Aux sermons d’Ambroise : La découverte du néo-platonisme chrétien, in : P.Courcelle, Recherches sur Les Confessions de saint Augustin, p.93-138.

[6] Sur ces émanations quasiment hypostasiées, voir : H.-Ch. Puech, Sur le manichéisme et autres essais, p.39.

[7] Sur cette page du mythe, voir : Saint Augustin, De agone christiano I.IV : « Les manichéens, dans leur aveuglement, soutiennent qu'avant la formation du monde il existait une race d'esprits de ténèbres, qui osa se révolter contre Dieu. Selon l'opinion de ces malheureux, Dieu, dont la puissance est infinie, n'aurait pu résister à cette attaque qu’en envoyant contre les rebelles une partie de lui-même. Les chefs de cette légion, d’après les manichéens, auraient dévoré cette partie divine, et le monde aurait été formé de cette assimilation ».

[8] Cf., H.-Ch. Puech, Sur le manichéisme et autres essais, p.43-45 ; voir également : M.Tardieu, Le manichéisme, p.96-97 (sur l’équarrissage des Archontes).

[9] Sur cette page du mythe, voir : H.-Ch. Puech, Sur le manichéisme et autres essais, p.37-38. Cf., Saint Augustin, Contra Faustum XI.3 ; De vera religione IX.16 ; De natura boni XLIV ; Confessions VII.XIV.20 ; De agone christiano IV.

[10] Pour rappel, la déclaration d’intention de Fauste : « Adimantus, ce prodige de science, et le seul homme, après notre bienheureux père Manès, digne de notre attachement, ayant clairement signalé les erreurs, et dévoilé la fausseté de la superstition juive et des demi-chrétiens, nous avons jugé utile, frères bien-aimés, de vous offrir en outre un recueil de réponses courtes et frappantes à opposer aux enseignements subtils et dangereux de nos adversaires, afin que vous soyez toujours prêts à leur répondre, toutes les fois que, comme le serpent leur père, ils chercheront à vous surprendre par leurs questions captieuses. Forcés par là à rester dans la question proposée, il ne leur sera plus possible de se livrer à des divagations sans fin. Pour ne pas noyer l’intelligence des lecteurs dans des discours trop longs ou confus, je mets en regard leur doctrine avec la nôtre, sous la forme la plus claire et la plus concise », in : Saint Augustin, Contra Faustum I.1 (Prologue de Fauste rapporté par Augustin).

[11] Il pourrait être incorrect de faire d’emblée un procès d’intention malveillante à Fauste qui, à ses dires du moins, destinait son ouvrage à sa communauté. Il ne s’agissait pas dès lors d’un document offensif, mais plutôt d’un document défensif. La réponse d’Augustin pourrait avoir épousé la même intention à savoir celle de protéger sa propre communauté catholique contre le trouble que pouvait provoquer une lecture que l’on peut aujourd’hui qualifier d’hétérodoxe des Épîtres pauliniennes.

[12] Saint Augustin, Contra Faustum XXIV.2.

[13] A ce titre le Contra Faustum d’Augustin est singulièrement éclairant. Voir par exemple : Saint Augustin, Contra Faustum XXIV.1-2.

[14] Par exemple : L.Troje, « Zum Begriff ATAKTOS KINĒSIS bei Platon und Mani », Museum Helveticum 5 (1948) 96-115 ; G.Bechtle, La Problématique de l’âme désordonnée chez Plutarque et Atticus, in : F.Dastur & C.Lévy éds., Études de philosophie ancienne et de phénoménologie, Paris, L’Harmattan, Cahiers de philosophie de Paris XII-Val de Marne N°3, 1999, p.15-71

[15] Voir par exemple la réaction directe d’au moins un chef d’école platonicienne de Basse-Egypte: Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani, A.Villey ed., Paris, Cerf, Sources Gnostiques et manichéennes 2, 1985, mais aussi : P.W.Van der Horst & J.Mansfeld, An Alexandrian Platonist against Dualism, Leiden, Brill, 1974 ; G.G.Stroumsa, Titus of Bostra and Alexander of Lycopolis : A Christian and a Platonic Refutation of Manichaean Dualism, in : Neoplatonism and Gnosticism, R.T.Wallis ed., State University of New York Press, Studies in Neoplatonism : Ancient and Modern n°6, 1992, p.337-349 ; I.Hadot, Simplicius. Commentaire sur le Manuel d’Épictète, Leiden, Brill, 1996 (en particulier chap.V.La réfutation du manichéisme, p.114-144) ; mais également : S.N.C. Lieu & J.S. Sheldon, Simplicius on Manichaean Cosmogony, in : J.A. van de Berg et al. éds., ‘In Search of Truth’ : Augustine, Manichaeism and other Gnosticism. Studies for Johannes van Oort at Sixty, Leiden, Brill, Nag Hammadi and Manichaean Studies vol.74, 2011, p.217-228.

[16] H.-Ch. Puech, Sur le manichéisme et autres essais, p.26.

[17] Cité et traduit in : H.-Ch. Puech, Sur le manichéisme et autres essais, p.45.

[18] Plotin, Ennéades V.1.1-10, E.Bréhier éd.

[19] Sur l’organisation, la discipline et les rituels manichéens, voir : J.D.BeDuhn, The Manichaean Body. In Discipline and Ritual, Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press, 2000.

[20] Cf., Saint Augustin, Confessions V.X.18.

[21] Saint Augustin, De Haeresibus XLVI.

[22] Cf., M.Tardieu, Le manichéisme, p.88-89.

[23] On peut comprendre le trouble d’un catholique si l’on compare à cette conclusion tel passage de l’Épître aux Romains qui fait état d’un topique similaire : Rm 7:15-17 : « Vraiment ce que je fais je ne le comprends pas : car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais. <quelques lignes plus bas> ; en réalité ce n'est plus moi qui accomplis l'action, mais le péché qui habite en moi ». Ce problème a été abordé par Saint Augustin avec Simplicianus, voir : Saint Augustin, De Diversis Quaestionibus ad Simplicianum Livre I (Deux questions sur l’épître aux Romains). Simplicien, bon connaisseur des écrits de Plotin, est le prêtre du cercle milanais avec lequel Augustin eût de nombreux entretiens les mois qui précédèrent son baptême.

[24] Cf., Saint Augustin, De natura boni IV.

[25] « C’est après cela que je soupirais, moi qu’enchaînaient, non des fers étrangers, mais les fers de ma propre volonté. L’ennemi tenait mon vouloir ; il m’en avait fait une chaîne et il me serrait étroitement. Oui, de la volonté perverse naît la passion, de l’esclavage de la passion naît l’habitude, et de la non-résistance à l’habitude naît la nécessité. Et, par ces sortes de maillons reliés - c’est pourquoi j’ai parlé de chaîne - me retenait dans ses liens étroits une dure servitude », Saint Augustin, Confessions VIII.V.10.

[26] Saint Augustin, De natura boni VII ; on pourrait sans doute ajouter que le châtiment est moins la réplique d’un Dieu courroucé que la corruption découlant de fait de leur mutabilité naturelle. La peine est donc intrinsèque au fait de ne pas vouloir se maintenir dans l’incorruptibilité offerte.

[27] Les Pères grecs adopteront d’autres nuances que le grand docteur d’Occident quant à cet héritage.

[28] J.-D.Nordmann, David. Récit théologique, Editions à la Carte, 2010, p.197.