Lire le corps comme un livre ouvert
Lire le corps comme un livre ouvert
Envisager le corps comme un texte à lire, à déchiffrer, à interpréter
On accuse parfois certains courants valorisant le corps d'être naturalistes c'est-à-dire d'enfermer l'identité personnelle dans une approche exclusivement anatomique ou physiologique de la corporéité. À l'inverse le constructivisme qui prône la libre construction d'une identité indépendante du donné corporel, manque l'ancrage de l'identité personnelle dans le réel de la chair. Les problématiques qui opposent un genre construit à un sexe anatomique imposé s'inscrivent dans ce qui se présente comme un malentendu. Le personnalisme chrétien quant à lui renvoie fermement dos à dos le naturalisme et le constructivisme. Dès lors, comment prendre en compte la corporéité dans la recherche de l'identité personnelle, sans retomber dans le piège naturaliste et sans sacrifier à un constructivisme hors sol ? Comment penser une relation unifiante entre le donné naturel et le construit psycho-social ? Comment sauver l'unité de la personne, inséparablement charnelle, psychique et spirituelle [1], comme nous y invite le discours ecclésial ?
Ni pure réalité biologique, ni simple construction conventionnelle [2], le corps existe et se donne sans que l'on sache avec évidence le définir, ni en épuiser le mystère. Pour autant, le corps parle, exprime des significations [3].
En ce sens, les approches philosophiques contemporaines (phénoménologie, herméneutique, personnalisme) nous ont familiarisés à l'idée que :
- Le corps - et a fortiori le corps tel qu'il apparait réellement, sexué, dans sa visible masculinité et féminité - n'est jamais seulement un faisceau de mécanismes naturels. Il est aussi traversé d'intentionnalités et de significations qui intéressent le tout de la personne.
- Le corps n'est jamais seulement un conditionnement déterminé par la nature. Il est aussi un donné porteur de sens.
- Le corps n'est jamais seulement corps-objet (Körper) ou corps objectivable, il est aussi corps-sujet, chair (Leib), corps signifiant, expression de la personne.
- Le corps comme donné précédant la liberté n'est pas d'abord une contrainte limitant la liberté, il est un point d'appui pour la liberté.
- Le corps est une possibilité ouverte, une offre de sens qui appelle une interprétation personnelle, selon un geste herméneutique à expliciter.
- Lieu des significations les plus personnelles, le corps est manifestation d'une vie personnelle et expression de la personne, si bien qu'il n’est pas un geste corporel qui ne soit porteur de sens personnel [4].
Nous proposons l'hypothèse théologique selon laquelle le corps peut être abordé comme on aborde un texte, équivoque certes, et qui reste à déchiffrer. Il s'agit de tendre l'oreille pour aborder le corps comme corps-sujet d'une parole, corps tissé de signification, corps signifiant, parlant un langage ayant sa grammaire propre.
Ainsi, le corps tel qu'il apparait visiblement, inséparablement objectivable et subjectivable, serait à envisager comme la « lettre » d'un texte dont le sens, l'« esprit » serait à expliciter, à la faveur d'un travail de lecture confié à la responsabilité de la personne humaine, à la lumière de la Parole de Révélation dont l'Écriture est la trace.
À cette lumière, il s'agirait d'explorer et d'interroger les voies d'une herméneutique théologique du corps vécu, considérant sa « lettre » (sens littéral) pour accéder à « l'esprit » (sens spirituel).
Dès lors pourquoi ne pas s'inspirer de la tradition herméneutique chrétienne de lecture des textes de l'Écriture, à la suite de la lecture juive, et puiser dans la théorie des quatre sens de l'Écriture, depuis Origène, les Pères de l'Église jusqu'à Henri de Lubac, comme nous y invite le professeur Alain Mattheeuws dans l'article que nous avons travaillé ?
Cette perspective nous conduit aussi à prêter attention à la démarche originale de la théologie du corps de Jean-Paul II, qui vise à produire un tel acte de lecture théologique de la condition incarnée pour dégager la « signification sponsale du corps en sa visible masculinité et féminité » et le « prophétisme du corps », dans le déploiement des économies du Salut.
Une telle approche herméneutique demande à être évaluée : permet-elle de développer un éclairage théologique pertinent sur la personne humaine en sa condition incarnée, en en respectant l'unité dynamique ?
[1] « L'homme est une personne dans l'unité de son corps et de son esprit (Gaudium et Spes, 14). Le corps ne peut jamais être réduit à une pure matière : c'est un corps « spiritualisé », de même que l'esprit est si profondément uni au corps qu'il peut être qualifié d'esprit « incarné ». La source la plus riche pour la connaissance du corps est le Verbe fait chair. Le Christ révèle l'homme à l'homme (Gaudium et Spes, 22). Cette affirmation du Concile Vatican II est, en un sens, la réponse, attendue depuis longtemps, que l'Eglise a donnée au rationalisme moderne. » (Jean-Paul II, Lettre aux familles, 19)
[2] « Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme, comme on voudra dire. » (M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945)
[3] « Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre constate que les mortels ne peuvent cacher aucun secret : celui dont les lèvres se taisent bavarde du bout des doigts. » (S. Freud, Études sur l'hystérie, 1895)
[4] « Il n'est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement biologique - et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d'échappement et par un génie de l'équivoque qui pourrait servir à définir l'homme. » (M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945)
Entrée libre
Lundi 13 Mai 2024
UCO ANGERS - AMPHI ST ANSELME
13h30
Accueil
14h00
Introduction par François DE MUIZON (UCO Angers) : « Le corps, un texte à déchiffrer ? »
14h15
Pascal IDE (Paris) : « Le corps comme cause ou signe ? matière, énergie et information »
15h00
Questions
15h15
Pascal MUELLER-JOURDAN (UCO Angers) : « Le corps comme signe et territoire de l’âme chez Platon »
15h45
Questions
16h00
Pause café
16h30
Jean-Marc BARREAU (Université de Montréal, Chaire Monbourquette) : « Le corps, comme lieu de transcendance chez Karol Wojtyla/Jean-Paul II »
17h15
Questions
17h30
Conclusions / table ronde