De mauvais publics ? Les épreuves croisées de la relation d’accompagnement
Projet « De mauvais publics ? Les épreuves croisées de la relation d’accompagnement (DMP) »
Dans la continuité de nos recherches respectives portant sur les formes et les enjeux de l'intervention socio-éducative en direction de publics-cibles comme les « Roms » ou les jeunes peu ou pas qualifiés, nous souhaitons nous intéresser dorénavant aux « mauvais publics » de l'accompagnement. Comment ceux-ci sont-ils définis ? Par quels processus ? Quelles sont les catégories mobilisées (ethnoculturelles, psychiatriques, médicales, etc. selon les milieux professionnels) ? Qu'en font les travailleurs sociaux de terrain ? Comment ceux-ci adaptent leur pratique/leur cadre d'intervention ? Et de l'autre côté, comment ceux ainsi désignés font-ils avec ces étiquettes et leurs effets ? Sous quelles conditions parviennent-ils à tisser un lien avec ceux qui les « accompagnent » ? Ou, inversement, fuient la prise en charge ou la font échouer ? Ces relations heurtées avec l'institution, ces échappées, blocages, refus ou soustractions de la part des personnes accompagnées mettent à l'épreuve les formes courantes de l'intervention sociale et, ce faisant, mettent à jour les logiques sociales plus générales de normalisation et de domination qui les traversent.
Dit autrement, ce qui nous intéresse tout particulièrement, c'est la question de l'autonomie – en proposant une réflexion approfondie sur cette notion et ses usages, dans le travail social comme dans les sciences sociales : d'une part, l'autonomie des publics ciblés par l'action publique. Ils ne sont pas réductibles au produit de l'intervention sociale, comme peut le laisser penser la rhétorique de l'autonomisation des publics-cibles du travail social. Ces publics peuvent disposer de ressources individuelles et collectives liés à des sociabilités et des ancrages territoriaux antérieurs à la rencontre des accompagnants avec lesquels l'alignement peut s'avérer difficile. D'autre part, l'autonomie des professionnels, qu'il est particulièrement intéressant d'interroger à partir d'une analyse fine des situations professionnelles au cours desquelles ils et elles sont amenées à travailler avec des « cas complexes », difficilement saisissables. Quelles sont les marges de manœuvre dont ils et elles se saisissent pour tenter de créer une relation tout en composant nécessairement avec leurs contraintes structurelles et professionnelles ?
Interrogeant ce qui se fait effectivement en matière d'accompagnement, on devra inévitablement s'interroger à propos de la « réussite ». De part et d'autre de la relation accompagnants/accompagnés, qu'est-ce qu'un accompagnement « réussi » et, plus largement, qu'est-ce qu'une vie « réussie » à laquelle est censé concourir l'engagement souhaité dans l'accompagnement mise en œuvre ? Au départ de notre réflexion, il y a l'idée de renverser les points de vue en opérant un décentrement en partant de ce qui est considéré par les personnes ciblées par l'action publique comme une vie « réussie », une « vie bonne », et de ce qui fait sens pour elles. Nous cherchons à nous démarquer d'une approche désignant des publics, des populations comme étant « à problèmes », « problématiques » et auxquelles, à ce titre, il faudrait appliquer un programme, un dispositif spécifique. Nous souhaitons chercher à
comprendre les difficultés que ces publics posent aux différents niveaux de la chaine bureaucratique et professionnelle concernée. Il ne s'agit pas de dire qu'ils n'en posent pas mais de comprendre celles qu'ils posent, comment elles sont formulées, dans quels termes, au regard de quel référentiel professionnel, moral, politique, etc. Il y a des chances que l'on parvienne de cette manière à mettre au jour que l'ajustement à des normes sociales suppose des conditions, que celui-ci n'a rien de naturel ni de spontané – y compris à l'égard de normes et de valeurs qui semblent aller de soi.
Malgré l'éclectisme apparent des publics considérés ici, la formulation des problèmes, les moyens imaginés pour les résoudre s'avère très transversale. Cette réflexion peut se nourrir de terrains en apparence très différents permettant d'observer les efforts que des individus, agissant au nom d'institutions, font pour en conduire d'autres à agir voire à vivre de manière déterminée. Du côté des personnes accompagnées, trouve-t-on aussi des formes récurrentes de réception de l'action qui les vise ? L'autonomie des uns et des autres s'observant en situation, l'approche ethnographique parait plus que pertinente ici, par le temps long, l'immersion et l'épaisseur de la relation d'enquête qui la caractérise. De même, les méthodes biographiques seraient tout à fait intéressantes à mobiliser pour comprendre au plus près les trajectoires de ces « mauvais publics », au-delà de leurs relations aux institutions, appréhender leur monde et analyser ce qu'ils deviennent après avoir été comptabilisés comme des « sorties par le bas » ou des « sorties négatives ».
Nous souhaitons mettre autour de la table des collègues volontaires avec lesquel.les élaborer un projet de recherche s'appuyant sur des travaux d'enquête déjà réalisés, en cours ou à venir sur l'accompagnement de personnes au sens entendu plus haut. L'objectif est de chercher à comprendre les modalités contemporaines de celui-ci sans restriction ni définition a priori des personnes ou groupes de personnes accompagnées précisément. Le projet repose donc sur l'étude empirique d'une diversité de personnes ou groupes de personnes accompagnées. Nous souhaitons cependant que ces études soient conduites avec le souci de converger vers une attention toute particulière aux difficultés des rapports induits par l'accompagnement entre professionnels et personnes accompagnées.
La manifestation sur le terrain de ces difficultés telles qu'elles sont éprouvées par les professionnels et, de l'autre côté du « guichet », par les personnes accompagnées doit permettre d'observer et d'expliciter les modalités de cet accompagnement tant du côté de sa mise en œuvre effective par des personnels dédiés que du côté de son appropriation par celles et ceux qu'il vise. On s'efforcera de mettre l'accent sur la prise en compte des épreuves auxquelles la relation d'accompagnement soumet les personnes concernées (professionnels et publics destinataires de leur action). En nous attardant sur le caractère éprouvé de la relation d'accompagnement, il ne s'agit pas pour autant de tomber dans un subjectivisme faisant fi du « vaste monde des structures et des positions », pour parler comme Erving Goffman, dans lequel des individus doivent faire leur travail et d'autres vivre leur vie. Il s'agit de prendre en compte la subjectivité des deux côtés du « guichet » dans le but de mieux saisir les contraintes telles qu'elles sont vécues.
Entrée libre
Jeudi 9 Janvier 2025
UCO Angers - Maison des chercheurs
10h00
Accueil café
10h30
Présentation des participants et du projet
13h00
Pause déjeuner
14h00
Présentations ouvertes des travaux de Benjamin DENECHEAU et David PUAUD
16h00
Echanges préfiguratifs du projet
Angers - Centre-ville
20h00
Soirée conviviale
Vendredi 10 Janvier 2025
UCO Angers - Maison des chercheurs
8h30
Accueil café
9h00
Retours sur les échanges de la veille, premiers jalons dans l’écriture du projet et calendrier pour la suite
12h30
Pause déjeuner