Anthropologie théologique et philosophique
Cet axe interroge l’énigme de la condition humaine, en explorant les éléments centraux d’une anthropologie théologique fondamentale, telle qu’elle s’est élaborée dans l’Écriture et l’histoire de la théologie chrétienne notamment patristique et conciliaire, dans un dialogue étroit avec la philosophie antique, médiévale et moderne, et telle qu’elle fut renouvelée par le Magistère récent, notamment dans sa lecture personnaliste, et son prolongement dans une théologie de la personne incarnée, considérée dans sa quadruple condition (créée, blessée par le péché, révélée et sauvée par le Christ, ressuscitée dans la Gloire), demeurant « à l’image de Dieu », compris comme insondable communion trinitaire de personnes.
Le projet « sens et enjeux de la condition corporelle »
Ce projet s’inscrit dans la thématique de recherche du troisième appel à projets de l'UCO (Évolutions technologiques et défis anthropologiques, et en particulier dans l’axe 1 Héritages et devenir des humains et des sociétés), en ce qu'il entend honorer l’analyse de l'histoire des idées pour comprendre les principes et mécanismes parfois occultes qui président aux valeurs qu’une société se donnent et desquelles découlent de nombreuses décisions politiques qui engagent le devenir des humains et des sociétés. La singularité de ce programme est qu'il mobilise non seulement l'anthropologie philosophique mais également l'anthropologie théologique parfois négligée dans les travaux de recherche de l'Université publique.
Ce programme souhaite par-là mettre en lumière un important volet de l'histoire des idées qui constituèrent jusque dans un passé récent, dans de nombreux pays européens, le socle même de leur culture anthropologique, profondément marquée par les valeurs véhiculées par le christianisme.
Contexte du projet de recherche
Les mutations sociales et sociétales de ces cinquante dernières années ont mis le corps au cœur des enjeux et des débats. Parmi les très nombreux défis anthropologiques et éthiques afférents à cette question, il y a celui de la vie corporelle, de sa conception aux derniers instants, celui du droit à disposer de son corps qui ne saurait être dissocié du droit de l'autre à disposer du sien propre. Il y a également les nombreuses questions ayant trait au genre et à la différenciation des sexes, à l'identité corporelle objective et à l'identité subjective, et au rapport entre le corps réel et le corps ressenti.
L'objectif de ce programme est de remonter plus en amont, et de nous demander si la condition corporelle a un sens premier et proprement humain. Est-elle ce qui caractérise fondamentalement une personne humaine dans son intégralité et sa pleine intégrité ? Le corps est-il un simple matériau sans signification propre, pouvant le cas échéant faire l'objet de déconstruction, de manipulation et de transformation affectant sa constitution originelle et naturelle ? Le corps est-il voué à n'être qu'un conglomérat neutre de cellules ‘réassignables' à souhait ? Est-il possible au contraire d'en saisir l'unité, d'en accueillir et d'en comprendre les significations tout comme l'affirme le Pape François :
« Notre propre corps nous met en relation directe avec l'environnement et avec les autres êtres vivants. L'acceptation de son propre corps comme don de Dieu est nécessaire pour accueillir et pour accepter le monde tout entier comme don du Père et maison commune ; tandis qu'une logique de domination sur son propre corps devient une logique, parfois subtile, de domination sur la création. Apprendre à recevoir son propre corps, à en prendre soin et à en respecter les significations, est essentiel pour une vraie écologie humaine ». (François, Laudato Si , 155)
La condition corporelle est-elle ce qui manifeste le plus fondamentalement notre dépendance et nos rapports vitaux d'interdépendances au sein de l'écosystème biologique et humain, relationnel, familial, social et politique dans lequel nous vivons ? Du moins, la condition corporelle donne-t-elle à voir notre principal lieu de vulnérabilité, celui d'être un corps personnel, vivant mais mortel, le corps propre pourtant d'une personne inaliénable liée à d'autres personnes inaliénables contraintes de cohabiter au sein d'espaces communs partagés pour simplement vivre et parfois simplement survivre. C'est en effet en raison de sa condition corporelle propre que l'être humain expérimente sensations et plaisir mais aussi besoins, nécessités, limites et contingence, pâtir, passions, souffrances et maux, et ultimement la mort qui vient interroger avec une radicalité certaine le sens de son existence.
Problématique
La question du sens du corps habite l'humanité depuis les origines, car l'être vivant aspire à vivre et cherche continûment à dépasser les limites de sa condition mortelle. La culture contemporaine prétend valoriser le corps, un corps idéalisé soumis à de nouvelles et puissantes normes : santé, jeunesse, charme, légèreté, sportivité, mais ce corps est étranger au temps, au vieillissement, à la fatigue, à la souffrance. Il est sans odeur ni pesanteur, lisse et transparent. Le corps réel quant à lui semble peu pris en compte.
On perçoit aujourd'hui le retour d'une forme de dissociation entre corps et personne comme si le corps était extérieur au sujet humain. La dissociation dualiste entre corps et esprit s'est en effet radicalisée : un corps-robot gouverné par un cerveau-machine, est valorisé dans les utopies transhumanistes qui envisagent de surmonter toute vulnérabilité et toute limite, jusqu'à celle de la mort.
En réaction à ces dissociations, certains courants ont cherché à réconcilier l'homme avec son corps, fût-ce au prix d'une relation fusionnelle et holistique. Le sujet se voit réduit à s'accorder à son corps, à ses besoins, ses rythmes, ses énergies, ses ondes, ses vibrations. Derrière la bonne intention de retrouver le contact avec le corps, on discerne un refus de subordonner le corps à l'esprit. Le développement actuel des neurosciences pourrait d'ailleurs apparaitre comme un pont utile entre sciences biologiques, philosophie et théologie, permettant de confirmer le support corporel de la pensée, sans les confondre pour autant.
Le christianisme et sa longue tradition de pensée a montré que corps et âme, que corps et esprit sont irréductiblement liés dans la nature humaine par la promotion de la notion de personne qui en constitue l'unité dynamique. Il a l'intuition d'une vie après la mort, qu'il partage avec de nombreuses traditions philosophiques et religieuses à une notable exception près. Religion de l'Incarnation, le christianisme, paradoxalement souvent accusé de mépriser le corps, ose envisager l'horizon d'une résurrection de la chair ouvrant la voie à la transfiguration du corps personnel. Cette perspective originale renouvelle toute l'anthropologie.
Reprendre à frais nouveaux les richesses de la tradition judéo-chrétienne, dans une rigoureuse perspective pluridisciplinaire à la fois philosophique, phénoménologique et théologique pourrait apporter un éclairage inédit et alimenter un légitime et nécessaire débat d'idées qui constitue l'essence même de l'Université.
L'apport stimulant de la théologie du corps
Dans ce contexte, l'apport spécifique de ce qu'il est convenu d'appeler « théologie du corps » ne saurait être ignoré. L'expression « théologie du corps » désigne l'anthropologie philosophique et théologique déployée par Jean-Paul II, dans un corpus de 133 catéchèses, à partir d'une méditation de l'Écriture, dans le prolongement de l'anthropologie personnaliste du Concile Vatican II. Le point de départ de la théologie du corps s'enracine dans la notion de création comme donation première, ex nihilo, et, à ce titre, expression de l'amour divin.
« Le corps en effet – et seulement lui – est capable de rendre visible ce qui est invisible : le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer dans la réalité visible du monde le mystère caché de toute éternité en Dieu et en être le signe visible. […] par sa corporéité, sa masculinité et féminité, l'être humain devient signe visible de l'économie de la vérité et de l'amour qui a sa source en Dieu lui-même et qui fut déjà révélée dans le mystère de la création. » (Jean-Paul II, Théologie du corps, 19).
Une telle herméneutique du corps sexué, associée à une perspective phénoménologique, comprend le corps comme manifestation sensible, phénomène dans lequel l'être se donne. L'incarnation rend visible l'invisible. L'invisible désigne ici l'autre du sensible (le spirituel, le mystère de l'esprit), mais aussi l'autre de l'homme, Dieu. À l'image de l'Incarnation du Verbe qui manifeste « comment Dieu réalise le mystère caché depuis toute éternité en lui, le Créateur de l'univers » (Ep 3, 9), le fait de l'incarnation ordinaire de toute personne humaine érige le corps en « signe » tangible d'un mystère dont la source est divine, trinitaire. La finalité première du corps sexué ne relève donc pas d'une nécessité biologique, mais d'une « nécessité théologique », celle de manifester un sens exprimé ici comme « économie de la vérité et de l'amour qui a sa source en Dieu ». Le corps sexué comme donné central de la Création est compris comme un livre à déchiffrer, porteur d'un sens qui n'est pas seulement « phénoménologique » (philosophique) mais bien « théologique », et de surcroit capable de fonder une anthropologie et une éthique de la personne humaine.
Un projet dans le projet : le Vocabulaire théologique du corps (à paraître, Cerf, 2027)
Dans ce contexte est né le projet d'élaborer un Vocabulaire théologique du corps, piloté par François de Muizon, assisté par Juliette de Ferrières de Sauvebœuf et porté par l'équipe de Recherche « Scriptura et Ratio », axe « anthropologie théologique et philosophique », de la Faculté de Théologie de l'UCO.
L'objectif est de produire un outil scientifique original qui s'adresse aux spécialistes non universitaires et aux étudiants en Master (philosophie, théologie, humanités, sciences humaines) qui veulent connaitre l'état de la recherche théologique sur la condition corporelle, avoir accès aux sources théologiques et bénéficier d'une bibliographie approfondie et actualisée. Cela n'existe pas dans le monde francophone.
Comité scientifique
- René Écochard (Claude Bernard, Lyon)
- Jean-Baptiste Edart (UCO)
- José Granados (Veritas Amoris Project, Denver, USA)
- Pascal Mueller-Jourdan (UCO)
- François de Muizon (UCO)
- Philippe Vallin (UNISTRA, Strasbourg)
100 contributeurs ont été mobilisés, appartenant à plus de 30 Universités dans 10 pays : Belgique, Canada, Égypte, Espagne, France, Italie, Mexique, Roumanie, Suisse, USA.
200 articles sont prévus : Chaque article résume l'état de la question de la notion traitée dans son rapport à la corporéité, et fournit une proposition raisonnée, concluant par un jugement sur la question. L'entrée est clairement théologique (scripturaire, patristique, dogmatique, magistérielle), en dialogue avec la philosophie et les sciences exactes et humaines, mais c'est toujours l'axe théologique qui commande le discernement. Il s'agit de situer théologiquement chaque thème, dans son rapport à la corporéité en manifestant l'unité et la cohérence de la Révélation.
Le défi majeur est de concilier le souci de produire un outil rigoureux, donnant accès aux sources d'une théologie chrétienne du corps (Écriture, Tradition, Magistère) et à ses fondamentaux (unité de la personne, dignité du corps, incarnation du Verbe, résurrection de la chair, etc.) permettant de dialoguer avec les requêtes contemporaines sur le corps, traversées par les courants constructivistes, existentialistes, gender studies, transhumanistes, etc. Les disciplines concernées sont principalement l'anthropologie théologique, l'exégèse, la patristique, la théologie morale, la philosophie, les sciences exactes et humaines.
Calendrier
- 2022-2023 : Lancement du projet, identification des 200 entrées, élaboration du cadre stratégique
- 2023-2024 : Envoi des commandes aux contributeurs, contrat signé avec les éditions du Cerf (version reliée), réception des articles, secrétariat, …
- 2024-2026 : Travail rédactionnel, double relecture en aveugle, mise en forme graphique, Colloque internationale de lancement du VTC, 18-19 juin 2026, à l'UCO.
- 2026-2027 : Dépôt du texte à l'éditeur (nov 2026), parution du volume (2027), traductions